Adeline Dieudonné
publié en 2018
266 pages
Genre : roman

Mon incontournable
Lorsque je choisis un livre, la lectrice passionnée que je suis a un petit rituel incontournable : lire la première et la dernière phrase pour se donner envie d’en découvrir plus.

À la maison, il y avait quatre chambres.

[…]

Et le sourire de Gilles.

***

Déjà près d’un an que je n’ai rien publié. Que je n’ai partagé ici aucune de mes dernières lectures. Je l’avoue, j’ai peu lu ces derniers mois. Mais c’est surtout la flemme qui m’a tenue éloignée de mon clavier d’ordinateur ! Et aussi un peu le fait que mon site se soit fait piraté, difficile pour moi d’y retourner en toute sérénité après ça – c’est la première fois que ça m’arrive depuis que je fréquente internet.

Pour ce retour, j’ai choisi un des romans qui nous a été offerts en cadeau de mariage – notre bibliothèque s’est grandement enrichie ce jour-là, et pour certains dans des styles que je n’ai pas encore fréquentés. Mon seul critère aujourd’hui : un roman court pour renouer avec ma passion. Et c’est déjà un pari réussi puisque me revoilà avec l’envie de partager cette lecture.

Le hasard a donc porté mon choix sur « La vraie vie », premier roman d’Adeline Dieudonné, auteure belge de trente-six ans largement récompensée pour ce texte.

***

L’histoire se déroule dans les années 90. La narratrice, petite fille de dix ans, vit avec sa famille dans un lotissement triste et gris.

Son père est un homme qui satisfait son goût pour la violence en chassant du gros gibier – et accessoirement en battant son épouse. Sa mère est une femme terrorisée et invisible, une amibe qui n’a pour seul intérêt que les quelques chèvres qu’elle élève au fond du jardin.
Heureusement il y a Gilles, son petit frère de six ans, à qui elle voue un amour indéfectible. Gilles et son rire qui la « réchauffait, comme une minicentrale électrique ». Leurs jeux dans le labyrinthe de voitures cassées de la décharge voisine. Leurs visites à Monica, la sorcière locale, dans le bois des Petits Pendus. Les glaces achetées au marchand ambulant « avec de la chantilly, mademoiselle ! Mais certainement… » un secret entre le vieil homme et elle.

Mais un jour, cet équilibre fragile bascule. La mort fait irruption dans leur vie de manière brutale, répugnante. Et relâche sur le cœur de Gilles les griffes de la bête qui se tapissait dans la chambre des cadavres. De ce jour-là, Gilles ne rit plus et elle, elle imagine le moyen de revenir en arrière pour réparer cette vie qui ne peut être que le brouillon de la vraie vie.

***

Ce roman, je me le suis pris comme une claque dans la gueule. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais certainement pas à ça !
Cet univers sauvage qui se dissimule derrière les murs d’un pavillon de banlieue, à la fois banal et inattendu. Ces personnages qu’Adeline Dieudonné décrit d’une plume acide et juste. La violence, la peur, l’irréel… la sensualité aussi. Parce que la petite fille du début grandit au fil des pages et devient une adolescente qui ne cesse de croire en la possibilité de changer le passé.

De « Retour vers le futur » à Marie Curie, le voyage dans le temps en trame de fond malgré les réticences de son mentor. « Le voyage dans le temps, c’est comme l’immortalité, c’est un fantasme compréhensible, mais il faut apprendre à accepter l’inacceptable. […] Observe, comprends, explique, c’est ton boulot de scientifique. Mais n’interviens pas. » Qui nous laisse en suspens jusqu’aux derniers chapitres. Peut-être.

Mais cet objectif du voyage dans le temps n’est présent que pour sauver Gilles de l’emprise de la hyène, cette bête qui hante la chambre des cadavres et qui a pris possession de l’âme du petit garçon innocent, qui a volé son rire et sa joie de vivre. Une bête sauvage nourrie par la violence du père. Par sa cruauté.

Le thème de la bête enfouie au fond de nous est d’ailleurs très présent tout au long du roman.
Il y a celle qui prend possession de Gilles, la plus évidente. Puis celle qui contrôle le père et qui laisse, à de rares occasions, entrevoir le petit garçon terrifié et l’homme torturé dissimulé derrière la violence.
Mais aussi celles qui vivent à l’intérieur de la narratrice. Celle chaude et moelleuse qui éveille sa sensualité en présence du Champion. Et l’autre, hideuse, abjecte, qui s’éveille lors de la traque de nuit dans la forêt. « Cette bête-là voulait manger mon père. Et tous ceux qui me voulaient du mal. Cette bête m’interdisait de pleurer. Elle a poussé un long rugissement qui a dépecé les ténèbres. »

Adeline Dieudonné décrit elle-même son texte comme « le manuel de survie d’une guerrière en milieu hostile » sur son site, à la fois roman initiatique et cauchemar poétique. Et c’est exactement ce que l’on ressent en le lisant. L’horreur nous accompagne au fil des pages, effleurant ce thème tellement d’actualité des violences conjugales, familiales, le poussant à l’extrême.

Un roman bouleversant qui ne peut laisser indifférent.
Et qui aurait pu figurer dans le Challenge Lecture de l’année dernière, dans plusieurs catégories.