Daniel Keyes
publié en 1966
452 pages
Genre : science-fiction
Titre original : Flowers for Algernon

Mon incontournable
Lorsque je choisis un livre, que ce soit en librairie, à la bibliothèque ou sur les étagères d’un ami, la lectrice passionnée que je suis a un petit rituel incontournable : lire la première et la dernière phrase pour se donner envie d’en découvrir plus. Et c’est parfois très parlant !

3 mars. Le docteur Strauss dit que je devrez écrire tout ce que je panse et que je me rapèle et tout ce qui marive à partir de mintenan.

P.S. : Si par hazar vous pouvez mettez quelques fleurs si vous plait sur la tombe d’Algernon dans la cour.

Une rencontre avec un livre est parfois le fruit du hasard. Ainsi, c’est au détour d’une discussion avec l’assistante sociale qui suit notre dossier de demande d’agrément pour l’adoption que ce roman de Daniel Keyes a été mentionné pour la première fois. Cette dernière l’avait lu sur les conseils de sa fille et, enthousiasmée par sa lecture, elle nous le recommandait à son tour.
Aussitôt réservé à la bibliothèque municipale, il est venu s’ajouter à notre liste de lectures estivales à tous les deux. D’abord passé par les mains de Chamallow, dont je vous invite à lire la critique sur son site Le Dinoscope, le voici à présent entre les miennes.

À 32 ans, Charlie a l’âge mental d’un enfant de 6 ans. Généreux et attachant, il travaille dans une boulangerie, a des amis qui le taquinent gentiment, assiste régulièrement au cours d’adultes attardés de miss Kinnian et rêve de devenir intelligent. Ce rêve semble devenir réalité lorsque que le Dr Strauss et le Pr Nemur se proposent de lui faire une subir une opération du cerveau qui doit multiplier ses capacités intellectuelles, afin de valider leurs expérimentations réussies sur la souris Algernon.
C’est ainsi que Charlie commence à rédiger des compte-rendus de sa vie, de ses pensées, de ses souvenirs. Une sorte de journal intime de cette expérience scientifique. Après l’opération, les lecteurs que nous sommes voient son écriture évoluer au rythme de l’accroissement phénoménal de son intelligence… malheureusement au détriment de son bonheur. Le regard qu’il porte alors sur son passé familial est douloureux et il a beaucoup de mal à appréhender les relations sociales.
Puis arrive le jour où Algernon montre des signes de régression intellectuelle. Et l’intelligence de Charlie comprend ce qui l’attend.

C’est curieux comme il y a des ouvrages qui suscitent beaucoup de réflexions durant la lecture et pour lesquels il est difficile de trouver les mots pour en parler une fois qu’ils sont terminés. C’est le sentiment que me laisse ce roman de Daniel Keyes alors que je l’ai vraiment apprécié.
Avec Chamallow, nous avons souvent échangés nos impressions au fil des pages. Pourtant aujourd’hui, j’ai du mal à renouer avec mes réflexions. Elles sont comme décousues, elles se dérobent à mes efforts.
Par quoi commencer ?

Tout d’abord la forme de ce roman. Je suis admirative du talent de Daniel Keyes qui disparaît derrière son personnage. Ce n’est pas son écriture ou son style, c’est celui de Charlie. Mais plus que ça, on sent l’évolution intellectuelle de Charlie à travers ses compte-rendus, son orthographe, son vocabulaire. Et c’est brillant !
Mais c’est à double tranchant parce que du coup, on n’a qu’un seul point de vue. C’est seulement quand Charlie nous rapporte les conversations qu’il a avec d’autres personnes que l’on réalise à quel point cette nouvelle intelligence le rend asocial. Je n’ai pas pu m’empêcher de pense à Sheldon Cooper, de la série The Big Bang Theory à ce moment-là !

Une grande partie des compte-rendus de Charlie porte sur sa vie passée. Ses souvenirs d’enfant. Les relations difficiles avec sa mère qui ne l’a jamais accepté tel qu’il était, différent, surtout après la naissance de sa sœur qui elle, est « normale ». Son père qui était le seul à prendre sa défense, qui l’aimait sans chercher à faire de lui un autre plus intelligent.
Pourtant, curieusement, les retrouvailles avec les membres de sa famille qu’il n’a pas revue depuis plus de 15 ans ne sont pas celles auxquelles on pourrait s’attendre. Son père ne le reconnaît pas, comme s’il avait oublié l’existence de ce fils qu’il a protégé de la violence de son épouse avant de le conduire à l’asile pour sa propre sécurité. Quant à sa mère, la situations est inversée avec celle de son enfance. C’est lui aujourd’hui l’adulte « normal » face à une femme âgée qui n’a plus toute sa tête, qu’il faut protéger d’elle-même. Mais qui pourtant, dans un moment de lucidité, le reconnaît et ressent de la fierté devant ce fils qui a réussi ce qu’elle a toujours cru possible pour lui, devenir intelligent.

L’un des passages qui m’a le plus touchée dans le roman, c’est la visite de l’asile Warren. À ce moment-là, Charlie sait déjà que la dégénérescence le guette et il s’est renseigné sur ce qu’il adviendrait de lui « après » : une place l’attend dans cet asile dont on le menaçait quand il était enfant. Pour confronter sa peur et, tel le scientifique qu’il est devenu, se faire une idée claire de ce qui l’attend, il se rend donc sur place.
Avant tout il faut se rappeler que Daniel Keyes a écrit ce texte il y a plus de cinquante ans et que la prise en charge des personnes qui souffrent d’un handicap mental ou émotionnel a beaucoup évolué. Mais la visite n’en est pas moins… édifiante :
La classification des pensionnaires. « Nous classons donc aussi nos enfants (je les appelle tous des enfants ; quel que soit leur âge, ce sont tous des enfants ici), nous les répartissons entre propres et sales. Cela rend l’administration de leurs cottages beaucoup plus facile, si l’on peut les classer de cette manière. »
Le discours de la surveillante. « J’aime beaucoup mes garçons. Ce n’est pas un travail facile, mais on est récompensé quand on sait combien ils ont besoin de vous. […] Les enfants normaux grandissent trop vite, ils cessent d’avoir besoin de vous… Ils s’en vont de leur côté… oublient qui les a aimés et a pris soin d’eux. Mais ceux-là ont besoin de tout ce que vous pouvez leur donner… toute leur vie. ».
Ou celui du psychologue en chef. « Il y a des tas de gens qui veulent bien donner de l’argent ou des choses, mais très peu qui donneraient du temps ou de l’affection. C’est cela que je veux dire. […] Eh bien, combien de personnes connaissez-vous qui seraient disposées à prendre un homme adulte dans leurs bras et à lui donner le biberon ? Et à risquer que le pauvre urine ou fasse ses besoins sur elles ? »
Cela ne peut laisser personne indifférent, et surtout pas Charlie qui sait que son avenir est ici. « Une sensation de grisaille glacée m’enserrait – un sentiment de résignation. Il n’avait pas été question de rétablissement, de guérison, d’envoyer un jour ces malheureux reprendre une place dans le monde. Personne n’avait parlé d’espoir. C’était une sensation de mort vivante – ou même pire, de n’avoir jamais vraiment eu de vie, ni de conscience. Des êtres vides dès l’origine et condamnés à rester dans le vague du temps et de l’espace de chacun de leurs jours… »

Enfin, je trouve la dernière phrase du roman particulièrement émouvante.
La régression intellectuelle de Charlie se fait très vite, un sentiment renforcé par le peu de compte-rendus qu’il rédige à cette période. Au tout début on ne peut s’empêcher d’en guetter les premiers signes « littéraires », tournures de phrase maladroites, vocabulaire plus simple, orthographe défaillante, qui nous ramènent aux premiers textes que l’autre Charlie a rédigés.
La descente est poignante, effaçant peu à peu celui qu’il a été durant ces quelques mois, comme s’il n’avait jamais existé. Et Charlie redevient l’ancien Charlie, celui qui l’observait parfois de l’intérieur. Mais pas complètement. Et sans doute pas définitivement.
Je l’avoue, mes yeux sont humides comme je rédige ces phrases. Parce que tout ce qui reste de Charlie Gordon à la fin, c’est Algernon.

Dire que je ne trouvais pas quoi dire sur ce roman !
Une très belle découverte qui me permet au passage de cocher une nouvelle catégorie du Challenge Lecture 2018 des Éditions J’ai lu.

Challenge Lecture 2018

  • Un livre sur les troubles psychologiques

Les autres catégories du challenge sont à découvrir ici.