Et ce fut enfin le vendredi soir.
Debout devant le miroir de la salle de bain du studio, Irina terminait ses préparatifs pour cette soirée qu’elle attendait avec autant d’impatience qu’elle la redoutait.
Contrairement aux multiples recommandations de Fabien, qui lui avait vivement conseillé de faire un effort de toilette à cette occasion – un dîner chez les Lacroix étant selon lui, l’équivalent d’un repas dans un restaurant cinq étoiles ou d’une réception à l’ambassade – la jeune femme avait choisi de se présenter à la nouvelle famille de sa mère telle qu’elle était dans la vie de tous les jours. Déjà mal à l’aise à l’idée d’être obligée de mentir quant à son identité réelle, elle ne tenait pas à multiplier les causes de stress avec une tenue inhabituelle.
C’est donc vêtue d’un simple jean noir, d’un corsage rayé en coton et d’un léger gilet rouge aux manches terminées par un volant qu’elle acheva d’attacher ses anneaux à ses oreilles.
Observant son reflet dans la glace, elle décida qu’elle avait l’air d’une jeune femme ordinaire. Une banale étudiante de dix-neuf ans aux moyens financiers limités, nullement désireuse d’impressionner une famille suffisamment riche pour pouvoir acheter sans broncher l’immeuble dans lequel elle vivait.
Attrapant sa veste de lainage et son sac à main posés sur le canapé défraichi, elle déverrouilla la porte de l’appartement et sortit sur le palier pour attendre l’ascenseur.
Quelques minutes plus tard, elle traversait la rue Saint-Martin en direction de la station de taxis la plus proche.
S’asseyant à l’arrière d’un véhicule libre, elle donna au chauffeur l’adresse de la résidence des Lacroix avant de s’adosser contre la banquette. Les yeux rivés sur la fenêtre pour s’empêcher de penser à cette soirée qui l’attendait, elle se concentra sur les rues de la capitale, animées malgré le froid de cette fin novembre.
Sur les trottoirs, les passants marchaient à vive allure, emmitouflés dans de chauds manteaux, tandis que les vitrines illuminées des magasins attiraient l’attention des badauds avec leurs décorations de Noël tout juste installées.
Une trentaine de minutes plus tard, le véhicule s’arrêtait devant la résidence luxueusement éclairée. Les pans de sa veste serrés autour d’elle, Irina s’empressa d’aller sonner à l’interphone, les joues brûlantes d’appréhension malgré le vent vif qui soufflait.
– Résidence Lacroix, fit la voix du majordome, déformée par l’appareil.
– Bonsoir, je suis Irina Pelletier, fit la jeune femme avec assurance cette fois. Monsieur et madame Lacroix m’ont invitée à dîner.
– Oui mademoiselle, je vous ouvre.
Quelques secondes plus tard, les battants du portail métallique s’écartaient silencieusement. Aussi impressionnée que lors de sa première visite, Irina remonta l’allée d’un bon pas jusqu’à la porte d’entrée. Debout sur le perron, le majordome l’invita à le suivre jusque dans le hall de la résidence. Puis, après l’avoir prestement débarrassée de sa veste et de son sac, il l’accompagna au salon, dans lequel la famille Lacroix se trouvait réunie en l’attendant.
– Mademoiselle Pelletier, monsieur, fit-il d’une voix solennelle avant de s’éclipser discrètement.

L’espace d’un instant, avant que le silence ne tombe sur la pièce et que tous les regards ne se tournent vers elle, Irina put découvrir un bien agréable tableau, pour elle qui avait toujours été privée d’une famille nombreuse.
Assise sur l’un des canapés au soyeux revêtement rouge, sa mère écoutait avec une attention faussement soutenue le discours que lui tenait une femme au carré châtain impeccable. Au centre de la pièce, à proximité du superbe piano laqué, deux hommes en costume sur mesure devisaient posément ; Irina reconnut le mari de sa mère dans celui qui lui faisait face. Enfin, près de la baie vitrée qui dominait les lumières de la capitale, un troisième homme, blond et sensiblement plus jeune, préparait des cocktails au bar sous le regard attentif d’une adolescente toute de noir vêtue.
Malgré l’indifférence affectée des personnes qu’elle avait sous les yeux, cette scène évoquait pour la jeune femme une vie de famille qu’elle n’avait pas connue. Une vie de famille vers laquelle elle se sentait irrésistiblement attirée.
Mais bien vite, les visages se tournèrent vers elle, la dévisageant avec une curiosité plus ou moins discrète selon les tempéraments, tandis que Victor Lacroix s’approchait d’elle, un sourire amical sur le visage.
– Irina, je suis ravi de vous revoir, l’accueillit-il en serrant sa main dans les siennes dans un geste de bienvenue. Venez faire connaissance avec la famille de votre tante.
Retenant son souffle sous le regard vigilant de sa mère qui n’avait pas esquissé le moindre geste vers elle, la jeune femme suivit Victor Lacroix auprès l’homme avec lequel il discutait à son arrivée.
– Irina, permettez-moi de vous présenter mon beau-frère, le sénateur Antoine Descombes.
– Monsieur le sénateur, fit la jeune femme avec un sourire nerveux.
Un foulard négligemment noué autour du coup, l’homme politique ne semblait guère impressionnant avec ses cheveux noirs lissés en arrière pour dissimuler une calvitie naissante, mais le regard qu’il posa sur elle recelait une profonde intelligence.
– Enchanté mademoiselle Pelletier, la salua-t-il en la gratifiant d’un signe de la tête.
Pendant que Victor la présentait à son beau-frère, les deux femmes s’étaient levées du canapé et les avaient rejoints au milieu du salon, permettant au maître des lieux de poursuivre ses présentations.
– Ma sœur Clarisse, fit-il en s’approchant de la femme au carré impeccable.
– Enchantée madame Descombes, poursuivit la jeune femme, mal à l’aise.
Un maquillage soigné et une tenue griffée d’un des plus grands couturiers parisiens ne parvenaient pas à atténuer l’impression de froideur dégagée par cette femme au visage anguleux et au regard austère.
– Mademoiselle Pelletier, je suis charmée de faire votre connaissance, laissa tomber cette dernière d’une voix manquant singulièrement de cordialité.
La toisant de la tête au pied avec un léger reproche au fond des yeux quant à la simplicité de sa tenue, Clarisse Descombes n’inspirait aucune sympathie à Irina. Mais peut-être ne s’agissait-il que de réserve, espéra la jeune femme.
– Irina, je suis ravie de te revoir, intervint Nikki, frôlant sa joue d’un baiser, le regard toujours aussi indifférent.
– Moi aussi Nikki, fit la jeune femme, ne pouvant se résoudre à donner le nom de « tante » à sa mère et préférant se rabattre sur son seul prénom.
– Victor meurt d’envie d’en apprendre plus sur mon passé, continua l’actrice avec un rire de gorge faussement insouciant, mais j’espère que tu ne lui révéleras pas tous mes petits secrets.
Si la phrase pouvait passer pour innocente aux yeux de son mari, Irina n’en ressentit pas moins la menace cachée sous les mots soigneusement choisis et c’est avec un sourire un peu crispé qu’elle répondit à sa mère.
– Non, bien sûr que non.
– Me voilà rassurée ! commenta-t-elle avec une expression charmante que démentait pourtant le regard qu’elle posait sur la jeune femme. Viens, je vais te présenter le reste de la famille, ajouta-t-elle avant de se tourner vers son mari. Ça ne te dérange pas, chéri ?
– Irina est ta nièce, très chère, fit ce dernier avec un grand sourire sincère. À toi de lui faire les honneurs de la maison et de la famille.
Dédiant une moue mutine à son époux, Nikki entraîna sa fille à sa suite vers le bar qui se dressait au fond de la pièce, juste devant la baie vitrée qui offrait aux regards émerveillés un somptueux panorama sur la capitale et ses lumières.

– Irina, voici Philippe, le jeune frère de Victor, fit l’actrice en lui présentant l’homme aux mèches blondes. Il est journaliste d’investigation pour le magazine Expressions.
– Monsieur Lacroix, enchantée.
– Je vous en prie, appelez-moi Phil, suggéra ce dernier d’une voix sympathique. Ravi de vous connaître Irina, votre tante est une petite cachottière, elle ne nous avait jamais parlé de vous.
Un peu rassurée par cet accueil amical, la jeune femme se laissa aller à sourire à cet homme au regard franc qui ne devait guère avoir plus de trente ans.
– Je dois reconnaître que c’est réciproque, avoua-t-elle timidement. Il n’y a que peu de temps que j’ai réalisé que Nikki Greene et ma… ma tante étaient en réalité la même personne.
– Comment ? s’étonna Antoine Descombes, qui s’était approché pour prendre l’un des cocktails préparé par son beau-frère. Vous n’aviez jamais parlé de nous à votre famille, Nikki ?
Déjà agacée par ces questions, l’actrice dédia son plus beau sourire à l’homme politique.
– Vous savez Antoine, Irina n’était qu’une petite fille à l’époque où j’ai rencontré Victor. Je n’ai pas voulu perturber sa vie tranquille en lui apprenant que sa tante était une actrice célèbre.
– Je me souviens que votre mère n’était pas présente à votre mariage, remarqua finement Philippe. Je comprends bien qu’à son âge et avec sa maladie, elle ne pouvait se déplacer, mais il est bien dommage que vous n’ayez pu profiter de ses derniers instants.
Sa maladie ?
– Croyez-vous que je l’ignore ? fit l’actrice avec juste ce qu’il fallait d’émotion dans la voix.
Puis, se tournant vers l’adolescente maussade assise sur l’un des tabourets du bar, elle ajouta à l’intention de sa fille :
– Irina, cette charmante jeune personne est Marie-Océane Descombes, la fille d’Antoine et Clarisse.
– Bonsoir Marie-Océane, la salua Irina avec gentillesse.
Mais c’est à peine si la jeune fille daigna tourner la tête. Rappelée à l’ordre d’un regard incisif de sa mère, l’adolescente finit par se lever et esquissa un vague sourire.
– Alors comme ça, vous êtes la nièce de tante Nikki ? fit-elle d’une voix indolente. Ça se voit tout de suite, vous vous ressemblez tellement qu’on pourrait vous prendre pour des sœurs !
– Hum, je vais prendre ça pour un compliment, remarqua Nikki avec hauteur.
Ignorant l’interruption de sa tante, l’adolescente poursuivit ses réflexions.
– Vous voulez boire quelque chose ? Oncle Phil prépare de délicieux cocktails, mais maman ne me permet pas d’y goûter.
– Merci, mais je crois que je préfèrerais un jus de fruits, si ça ne dérange pas votre oncle.
– Un jus de fruits ? Pourquoi, vous êtes alcoolique ou quoi ?
– Marie-Océane ! la rappela à l’ordre la voix sèche de son père. De quel droit te permets-tu de faire ce genre de remarque à notre invitée ?
– Si on ne peut plus plaisanter, ronchonna la jeune fille, s’éloignant en traînant les pieds, avant de s’avachir dans un fauteuil.
– Veuillez l’excuser Irina, fit Antoine en s’approchant d’elle. Ma fille est malheureusement à l’âge ingrat et elle ne mesure pas bien la portée de ses propos.
– Ce n’est rien, vraiment.
– Vous ne voulez vraiment pas d’alcool ? intervint Philippe, un verre à la main.
– Non merci, je n’aime pas beaucoup ça… Mais ne vous dérangez pas pour moi, surtout, s’empressa-t-elle d’ajouter en voyant le journaliste sortir diverses bouteilles du bar afin de préparer de nouveaux cocktails, sans alcool cette fois-ci.
– Ne vous inquiétez pas, la rassura ce dernier. Grâce à vous, Marie ne pourra plus se plaindre que nous négligeons ses moindres désirs !
Quelques instants plus tard, un verre d’un délicieux mélange fruité à la main, Irina était accompagnée jusqu’à l’un de canapés par les deux hommes qui s’installèrent à ses côtés.
La discussion, d’abord un peu empruntée, se poursuivit pourtant avec plus de facilité une fois que la jeune femme eut révélé à ses hôtes qu’elle étudiait le piano et les grands compositeurs classiques au Conservatoire.
– Avez-vous assisté au concert qu’Aleksandr Bachrikov, le talentueux pianiste russe, a donné à la salle Pleyel, le mois dernier ? lui demanda Antoine Descombes avec intérêt.
– Malheureusement non, les places étaient déjà toutes réservées depuis des mois quand j’ai emménagé à Paris, regretta la jeune femme.
– Quel dommage, c’était une soirée inoubliable.
Irina acquiesça silencieusement, jugeant inutile de préciser que de toute façon, elle n’aurait jamais eu les moyens de s’offrir une telle sortie.

Se détendant au fur et à mesure qu’elle réalisait que les membres de la famille Lacroix n’étaient pas tous aussi froids et indifférents que sa mère ou la belle-sœur de cette dernière, la jeune femme commençait à apprécier sincèrement cette soirée et la conversation cultivée de ses hôtes.
Alors que Philippe Lacroix abordait le sujet des élections présidentielles en Ukraine qu’il avait suivies sur place dans le cadre de son travail, le majordome fit à nouveau son apparition, annonçant de sa voix compassé que le dîner était servi.
– Permettez-moi de vous accompagner jusqu’à la salle à manger, proposa galamment Victor Lacroix, irréprochable dans son rôle de maître de maison.
– Je vous remercie, fit Irina, se levant avant de suivre l’homme d’affaires.
Tout en descendant le large escalier qui menait du salon au hall d’entrée, Irina ne put s’empêcher faire part d’une de ses réflexions à son hôte.
– Votre résidence ne ressemble en rien à l’image que je me faisais d’une maison traditionnelle de la région.
Victor Lacroix sourit.
– Vous avez tout-à-fait raison Irina. Cette villa a été conçue par un architecte qui aimait les formes géométriques et le style épuré. Vous n’imaginez pas à quel point il a été difficile d’en obtenir le permis de construire, avec toutes ces maisons en pierres meulières alentours !
– C’est vous qui l’avez fait construire ?
– Mes parents, précisa l’homme d’affaires tout en précédant Irina dans un large couloir aux murs ornés de tableaux. Ils se sont installés dans cette charmante petite ville au début des années soixante et ce genre de construction n’était pas très populaire à l’époque.
Tout en discutant, Victor Lacroix avait fait traverser une partie du rez-de-chaussée à la jeune femme et, ouvrant une porte, il l’invita à pénétrer dans la salle à manger.
Irina découvrit alors une vaste pièce aux murs recouverts d’un papier peint dans les tons beige, au centre de laquelle trônait une immense table qui devait pouvoir accueillir sans problème une douzaine de convives. D’épais tapis recouvraient le parquet ciré, leurs teintes rappelant le revêtement des chaises qui entouraient la table. Une large baie vitrée donnait sur le devant de la maison, encadrée par de lourdes tentures de velours. Aux murs étaient accrochées des reproductions de tableaux de maîtres, ainsi que des œuvres modernes, plus en accord avec le style de la maison.
Guidée par l’homme d’affaires, elle s’approcha de la table recouverte d’une nappe fine brodée de dentelle, sur laquelle était dressé le couvert : assiettes en porcelaine encadrées de couverts en argent, verres en cristal qui reflétaient la lumière du lustre.
Tout le monde prit place autour de la vaste table, selon des règles de bienséance étrangères à la jeune femme, qui se contenta de suivre l’invitation de son hôte à s’installer à sa droite.
En face d’elle, Clarisse Descombes l’observait de son regard froid, comme si elle traquait le moindre de ses faux pas… ce qui n’allait certainement pas tarder à se produire, songea-t-elle en découvrant le nombre impressionnant de couverts qui entouraient l’assiette blanche au liseré doré qui se trouvait devant elle.
– Ne vous inquiétez pas, lui glissa discrètement Marie-Océane, assise à côté d’elle. Vous n’avez qu’à observer ce que fait ma mère, elle est incollable sur toutes les règles de savoir-vivre !
– Merci, chuchota la jeune femme dans un sourire amical.
Et quelle ne fut pas sa surprise de voir l’adolescente quitter un instant son air renfrogné pour lui dédier un regard pétillant de malice, avant de reprendre son masque habituel.
Sitôt les convives installés autour de la table, le majordome fit son entrée dans la salle à manger, un plateau entre les mains, et commença son service avec une maitrise qui impressionna Irina, peu habituée à un tel décorum.
Le menu du repas était à la hauteur du cadre luxueux de la résidence et tout en observant discrètement sa voisine d’en face afin d’éviter de commettre le moindre impair, Irina se régala d’une délicate mousse de poisson enrobée de fines tranches de courgettes, suivie d’un canard à l’orange accompagné de galettes de maïs croquantes à souhait.
Son ami Fabien avait eu bien raison de comparer cette invitation à un dîner dans un restaurant haut de gamme. Jamais la jeune femme n’avait goûté de plats aussi savoureux. Quant à la conversation qui les accompagnait, elle était tout aussi raffinée que le choix des vins – qu’elle ne buvait pas – ou que la musique qui jouait en sourdine.

Le plateau de fromages débarrassé, le majordome apporta le dessert, une tourte dorée dont l’arôme fruité réveilla l’appétit pourtant en sommeil de la jeune femme après un aussi délicieux repas.
Tout en savourant sa part de tourte délicatement recouverte d’un coulis de caramel, Irina répondit à la question de Philippe Lacroix, qui lui demandait dans quel quartier de Paris elle avait élu domicile.
– Dans le troisième arrondissement, rue Saint-Martin.
– Comment, vous vivez dans ce quartier populaire ? s’étonna Clarisse Descombes, un soupçon d’affectation dans la voix.
– Oui, pourquoi ?
– Et bien, ce n’est pas le quartier le plus réputé de Paris, fit cette dernière avec évidence.
– Je m’y sens bien. Et puis, c’est la secrétaire de l’école qui m’a trouvé ce logement, précisa la jeune femme. Il n’est pas très éloigné du Conservatoire, c’est bien pratique.
– J’ai souvent entendu dire que les appartements de la rue Saint-Martin n’étaient pas très spacieux, ni très luxueux, remarqua à son tour Antoine Descombes.
– C’est vrai que ce n’est qu’un studio, acquiesça Irina, un peu gênée. Mais il est meublé et très fonctionnel.
À cette remarque, Nikki, qui avait jusque là gardé le silence, posa son verre sur la table d’un geste gracieux.
– Fonctionnel ? Voyons Irina, tu sais aussi bien que moi que ton appartement est en piteux état ! Le papier peint se décolle par endroit, la moquette est toute élimée ! Quant au mobilier, il est évident qu’il est de seconde main !
Étonnée que sa mère ait remarqué tous ces détails durant sa courte visite, Irina ne perçut pas le regard surpris que tout le monde ou presque à la table tourna vers l’actrice.
– J’ignorais que tu connaissais le logement de ta nièce, chérie, remarqua Victor Lacroix.
– Oh, je… je lui ai rendu visite hier en rentrant des studios, fit l’actrice en prenant un air innocent. Je tenais à m’assurer qu’elle n’avait pas changé d’avis pour le dîner de ce soir.
– Son logement est-il réellement dans un tel état de délabrement ? insista Clarisse, visiblement choquée par cette idée.
– Non, bien sûr que non ! s’écria Irina avec empressement, mais personne ne prêta attention à ses protestations.
Le regard de Nikki se troubla un instant.
– Et bien, je reconnais que c’est peut-être un peu exagéré de ma part, mais je n’aimerais vraiment pas vivre dans un tel endroit.
Clarisse se tourna alors vers son frère aîné, un message silencieux passant entre eux.
– Irina, il n’est pas convenable qui vous viviez dans un tel appartement, fit l’homme d’affaires avec gravité.
S’apprêtant à protester qu’il n’était guère dans ses moyens d’emménager dans le seizième arrondissement de Paris, Irina fut coupée dans son élan par la proposition que Victor Lacroix lui fit avec une simplicité désarmante.
– Pourquoi ne viendriez-vous pas plutôt vivre ici, dans cette maison ?
Muette d’étonnement, Irina ne savait comment répondre à une proposition aussi généreuse de la part d’une personne qu’elle venait tout juste de rencontrer. À l’autre bout de la table, sa mère la fixait d’un regard franchement désapprobateur.
– Comprenez-moi bien, je ne tiens pas à vous forcer la main, ajouta l’homme d’affaires avec un sourire amical. Mais désormais vous faites partie de la famille et nous serions charmés de vous avoir avec nous. La maison est très grande et nous y vivons seuls, votre tante et moi.
– Je… je ne sais pas quoi dire… bredouilla la jeune femme. Je m’attendais si peu à cette proposition.
– Vous devez vous sentir seule dans cette grande ville anonyme, intervint Clarisse d’une voix moins hautaine qu’au début de la soirée. Victor m’a dit que vous aviez perdu votre grand-mère depuis peu. Il vous serait certainement agréable de retrouver une certaine… ambiance familiale.
Touchée par ces mots qu’elle n’attendait pas dans la bouche d’une femme qu’elle pensait bien trop snob pour se préoccuper du bien-être moral de qui que ce soit, Irina lui sourit timidement et fut surprise de voir un sourire semblable se dessiner sur les lèvres de Clarisse.
Se tournant alors vers sa mère, quêtant inconsciemment son approbation, Irina sentit son cœur se serrer devant son expression figée dans un masque d’où toute tendresse était exclue. Pourtant, curieusement, c’est ce rejet qui la fit se décider, comme un défi à relever.
– Je vous remercie sincèrement, c’est avec plaisir que j’accepte votre invitation.