Philippe Gerin
publié en 2021
274 pages
Genre : roman

Mon incontournable
Lorsque je choisis un livre, la lectrice passionnée que je suis a un petit rituel incontournable : lire la première et la dernière phrase pour se donner envie d’en découvrir plus.

tu entends chut tu entends Sasha écoute là dans les vagues

[…]

Tant qu’il y aura des vies penchées sur d’autres vies.

***

Ma rencontre avec ce roman de Philippe Gerin a eu lieu dans ma librairie préférée, au détour d’une étagère.
Sa couverture a tout de suite attiré mon attention, comme une fleur aux délicates couleurs au milieu d’un parterre en noir et blanc. J’ai aimé l’ambiance qui s’en dégageait, féerique et sombre à la fois.

Et comme souvent, la lecture de la quatrième de couverture n’a fait que confirmer mon attirance, m’invitant à un voyage en Islande à la rencontre de personnes meurtries par la vie.

***

« La Mélancolie des baleines » c’est l’histoire de trois chemins de vie qui s’écoulent en parallèle.

Il y a d’abord Ayden et Sasha, parents d’un garçon de neuf ans malade et visiblement condamné, qui emmènent ce dernier voir les baleines en Islande, dans ce pays où leur histoire a commencé.
Puis il y a Arna, guérisseuse dans l’âme qui a passé sa vie à accompagner les mourants vers l’autre monde, et qui revient vivre dans la maison bleue de son enfance, là où le souvenir de la disparition mystérieuse de son conjoint vingt-cinq ans plus tôt continue de la hanter.
Et enfin il y a Guðmundur, chauffeur de bus solitaire au physique atypique, qui parcourt chaque jour la route circulaire et passe ses nuits à écrire des mots qui prennent possession de lui.

Les hasards de la vie les amèneront à trouver refuge dans la maison bleue par un soir d’orage, au-dessus d’une plage de sable noir sur laquelle les baleines viennent s’échouer et attendre la mort.
Mais est-ce vraiment le hasard, ou le destin qui a mené leurs pas ?

***

Avant la première phrase que j’ai citée plus haut, le roman de Philippe Gerin débute en réalité par la citation d’un poème japonais de Misuzu Kaneko, que je ne peux résister à l’envie de partager avec vous. À la fois simplement pour sa beauté, mais aussi pour son importance dans l’histoire qui réunira Ayden, Sasha, Eldfell, Guðmundur et Hella dans la maison bleue d’Arna.

Held late in spring when flying fish are caught
When the temple bell travels across the bay’s water
When fishermen dress in their formal attire and hurry to the temple
A lone whale child listening to the temple bell cries alone missing its moter and father
How far into the ocean would the temple bell resonate ?

Le premier contact avec les mots de Philippe Gerin peut être déroutant, le temps de quelques pages. Le temps d’identifier les personnages. Le temps de s’habituer à l’alternance des histoires parallèles qui se succèdent sans aucun chapitre, avec juste une ligne sautée et quelques points pour les séparer.
Mais très vite, la magie opère et on est comme envoûté par la plume de l’auteur, la poésie et la beauté qui se dégagent de ses descriptions de la nature sauvage islandaise.
Le temps de ma lecture, j’ai oublié que j’étais assise sur mon canapé, bien au chaud dans mon appartement, un chocolat posé sur la table basse à côté de moi. J’étais littéralement transportée sur ces landes de roches volcaniques recouvertes de mousse, presque au bout du monde, loin de toute civilisation. Là où la magie et les Alfes noirs existent encore.

Au fil des mots, les existences des personnages de Philippe Gerin se tissent de mille et un détails. De ceux qu’il nous raconte et plus troublant encore de ceux qu’il nous tait. Aucune explication, aucune révélation finale n’est à attendre. Les questions resteront sans réponse. Et pourtant je suis sortie enrichie de ma lecture.
Parce qu’il y a des phrases qui parlent au cœur, à l’âme.
« Il a rempli des cahiers durant des soirées entières, mû par une frénésie d’idées qui s’entrechoquaient et qui, sous la mine fine de son crayon, s’accordaient pour tisser une intrigue que des mots choisis transcendaient d’une poésie singulière. Lors des longues nuits polaires, avant de se coucher pour quelques heures, il lui arrivait d’ouvrir la petite fenêtre pour s’enivrer d’air glacial et euphorisant. À voix haute, il relisait les passages qu’il venait de poser sur le papier. Il donnait ses mots à entendre à la nuit et, autour, le monde muet écoutait, médusé. »

« La Mélancolie des baleines » est une ode à un monde qui se meurt. Un témoignage de la conscience que nous en avons et de l’espoir qui nous porte encore vers un monde qui, peut-être, se survivra à lui-même. « Une lettre pour l’avenir » qui « atteste que nous savons ce qui se passe et ce qui doit être fait. Vous seuls savez si nous l’avons fait. »

Un roman à découvrir avec émotion…