George & Weedon Grossmith
publié en 1892
235 pages
Genre : roman
Titre original : The Diary of a Nobody

Mon incontournable
Lorsque je choisis un livre, la lectrice passionnée que je suis a un petit rituel incontournable : lire la première et la dernière phrase pour se donner envie d’en découvrir plus.

Après tout, pourquoi ne publierais-je pas mon journal ?

[…]

« Affectueuses pensées à vous. Lupin. »

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C’est à la librairie que j’ai croisé la route de ce roman de George et Weedon Grossmith.
La couverture a tout d’abord attiré mon attention, avec ces touches de orange dans des répétitions en noir et blanc. Cela me faisait un peu penser à la matrice dans Matrix, avec ces colonnes de chiffres qui défilent sur l’écran.
Et puis j’ai lu le titre et j’ai pensé « C’est pour moi ça, c’est tellement pour moi ! ». Et en réalité ça doit parler à beaucoup de monde. On est nombreux à avoir tenu un journal intime et bien peu à qui il arrivait des choses extraordinaires.  L’intérêt même de la banalité, instantané d’une époque, d’un âge ou d’un milieu social.

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Ce roman de George et Weedon Grossmith porte bien son nom, puisqu’il nous fait partager le quotidien de Charles Pooter, un homme ordinaire employé à la City de Londres à la fin du dix-neuvième siècle.

Lui et sa femme viennent d’emménager dans une nouvelle maison à Holloway et c’est ce qui le décide à tenir un journal dans lequel il narre les menus événements de sa vie quotidienne de petit bourgeois, principalement préoccupé par un respect sans faille des convenances. Les soucis causés par leur fils William Lupin, les amis qui vont et viennent comme s’ils étaient chez eux, le tracas des fournisseurs, les sorties mondaines et j’en passe.

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J’ai lu un certain nombre de romans sous la forme de journal intime et ce que j’apprécie, c’est qu’ils sont généralement le reflet de leur auteur présumé qui nous fait voir le monde à travers ses yeux.
Ce n’est pas l’Histoire avec un grand « H » qui est intéressante ici, mais la petite histoire, celle du quotidien, des détails insignifiants. Un peu comme quand en cours d’histoire, on se désintéressait des dates de règnes ou de batailles pour se pencher sur la vie des vrais gens. Pour découvrir une époque, une classe sociale, des coutumes révolues par le petit bout de la lorgnette.

Dans le « Journal d’un homme sans importance », c’est la fin de l’ère victorienne que nous font découvrir George et Weedon Grossmith. À travers de petites mésaventures de tous les jours, Charles Pooter se montre le parfait représentant d’une époque depuis longtemps révolue mais qui continue de me fasciner.
Dans une période en plein mouvement, où la technologie et le modernisme viennent bouleverser des habitudes de vie centenaires, Pooter illustre l’ancienne génération qui apprécie son confort, sa vie simple et sans artifice. Une classe sociale qui craint les bouleversements apportés par des personnes aux idées originales mais dangereuses, comme son fils Lupin ou ce journaliste américain rencontré lors d’un dîner mondain qui esquisse son portrait en quelques phrases, sans pourtant le cibler personnellement.

« Le juste milieu est synonyme d’heureuse, de misérable médiocrité. Voyagez en première ou troisième classe, mais jamais en deuxième. Épousez une duchesse ou une femme de chambre. Le juste milieu est synonyme de respectabilité, et la respectabilité est synonyme d’insipidité. N’est-ce pas, monsieur Pooter ? […] Le juste milieu n’est rien de plus qu’une vulgaire demi-mesure. Un amateur de champagne qui craint de boire une bouteille entière et choisit une demi-bouteille ne construira jamais le pont de Brooklyn ni la tour Eiffel. Ce sera l’homme des demi-mesures et du juste milieu. Il passera le reste de ses jours dans un pavillon de banlieue orné d’un porche à colonnes de stuc ressemblant à un lit à baldaquin. »
Nous éclatâmes tous de rire.
« Ce genre de choses, continua Mr Huttle, convient à un homme douillet, affublé d’une douillette barbiche, qui dort avec un bonnet de nuit et porte une cravate à agrafe. »

Cette soirée et cette rencontre tiendront Pooter éveillé une partie de la nuit, ressassant le danger des idées modernes qui peuvent mener à la fortune ou à la ruine. Il finira par conclure que « les gens les plus heureux sont ceux qui mènent une vie simple et sans artifice. Je crois que je suis heureux parce que je ne suis pas ambitieux. »

Le « Journal d’un homme sans importance » pourrait être une critique des bouleversements de cette époque, mais ce n’est pas le cas. Il s’agit plus d’une chronique, tendre et pleine d’humour, de la vie d’un homme qui se satisfait de la vie qu’il mène, avec ses petits bonheurs et ses petites tracasseries. Le tout agrémenté de quelques illustrations à l’encre de chine de la main de Weedon Grossmith.
Un roman que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire et que je recommande vivement !