Ernst Jünger
publié en 1939
172 pages
Genre : roman
Titre original : Auf den Marmorklippen

Mon incontournable
Lorsque je choisis un livre, la lectrice passionnée que je suis a un petit rituel incontournable : lire la première et la dernière phrase pour se donner envie d’en découvrir plus.

Vous connaissez tous cette intraitable mélancolie qui s’empare de nous au souvenir des temps heureux.

[…]

Alors nous franchîmes ces portes grandes ouvertes, comme on entre dans la paix de la maison paternelle.

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Second choix dans le cadre de la thématique de mars du Challenge Lecture 2021 – que vous pouvez écouter dans le podcast Des livres et nous !  – ce roman de Ernst Jünger m’a été recommandé par notre libraire préféré en tenant compte de mes critères personnels : de la guerre mais pas trop de combats, un texte relativement court pour une initiation en douceur.
Et je dois dire que Julien de L’Arbre généreux à Soissons a parfaitement rempli sa tâche !

Présenté comme une allégorie de la montée du nazisme et LE chef d’œuvre de l’auteur, j’étais plutôt curieuse de découvrir ce roman. Aussi, même après avoir validé mon premier choix de roman de guerre, je n’ai pas hésité à me lancer.

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Dans la Marina, contrée imaginaire située entre mer et falaises de marbre, fière de ses vignobles et de son raffinement, le narrateur et son compagnon, frère Othon, vivent un quotidien paisible à l’Ermitage. Ils y étudient la nature et les plantes, travaillent à l’élaboration d’un herbier. Et assistent en spectateurs avisés qui ont déjà connu la guerre à la montée en puissance du grand Forestier, seigneur d’un pays de forêts dont l’ambition est de redonner à la nature domestiquée son côté sauvage.

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Au risque de me faire des ennemis, je dois avouer que j’ai eu beaucoup de mal à accrocher au texte de Ernst Jünger.
Ce n’est pas tant l’histoire qui a du mal à démarrer – ça j’ai l’habitude avec certaines séries de fantasy ! – ça tient surtout au style. Je ne sais pas si ça vient de la traduction qui date de 1942 ou de la plume de l’auteur, mais personnellement, quand j’ai besoin de relire quatre fois la même phrase de seulement deux lignes pour comprendre ce qu’elle veut dire, ce n’est pas bon signe.
Et encore, ce n’est qu’après avoir découpé mentalement et remis dans l’ordre les divers morceaux de phrase que les mots prennent enfin un sens.

Je reconnais volontiers être une « lectrice loisirs ». Quand je lis, je cherche avant tout à m’évader. Je n’ai rien contre des livres qui me font réfléchir, mais il faut que ça vienne spontanément. Parce que là, oui, effectivement, j’ai réfléchi durant ma lecture. Mais pas dans le bon sens du terme. Pas sur le fond, mais uniquement sur la forme.
Mais j’ai persisté. Au rythme de deux chapitres à la fois, pour pouvoir reprendre ma respiration. Il faut savoir que je suis physiquement incapable de ne pas terminer un livre, quel que soit mon niveau d’intérêt – ou de désintérêt dans certains cas !

Et malgré la difficulté, je ne le regrette pas. Oh, ce n’est pas que ça devienne plus fluide. Mais une fois le roman terminé – et heureusement il est court – j’ai réussi à me concentrer uniquement sur l’histoire, à me reconnecter à elle.
Le paisible bonheur quotidien d’avant. Les touches légères du passé de l’auteur – lui n’est pas important, il n’est que le vecteur des événements qu’il voit, vit et décrit. La montée en puissance subtile et progressive du grand Forestier, de ses méthodes. 
« Le grand Forestier ressemblait ainsi à un médecin criminel qui d’abord provoque le mal, pour ensuite porter au malade les coups dont il a le projet. »
De sa violence barbare aussi dans les actes commis. Certains passages nécessitent de poser le livre et de s’en éloigner un moment. Ce qui, à mes yeux de « lectrice loisirs », est une réussite de la part de Ernst Jünger.

Je ne disserterai pas ici du sens caché derrière les mots. Je ne m’en sens ni la légitimité, ni les compétences. Il me suffit de comprendre que ce texte, écrit en 1939 et dont l’image du grand Forestier est forcément associée à celle d’Hitler, peut s’appliquer à tout dictateur, quelle que soit l’époque, quel que soit le pays.

Il n’y a qu’un passage sur lequel je bute, la fin du roman.

Je suis mal à l’aise avec la fuite du narrateur et de son compagnon, qui me donne l’impression qu’ils abandonnent le combat, sans donner de réelles raisons.
Parce qu’ils n’ont aucune chance face au grand Forestier ? Parce qu’ils ne sentent plus concernés après leur bataille et que le « trophée » qu’ils emportent avec eux est plus important à leurs yeux ? Parce qu’ils sont résignés ? Parce qu’ils ne peuvent continuer le combat qu’en d’autres lieux, avec d’autres soutiens ?

Ou alors j’ai mal lu, mal compris… J’attends avec curiosité votre ressenti si vous avez lu « Sur les falaises de marbre » de Ernst Jünger.