Sujet imposé : Dans une vieille malle, une jeune fille trouve des photographies de ses arrière-grands-parents. Elle découvre avec stupéfaction qu’elles sont animées. Racontez.

 

Assise sur le rebord de la fenêtre de ma chambre, j’observe la maison située de l’autre côté de la haie.
À l’étage, les volets sont presque tous fermés. Il n’y a aucune voiture dans la cour, la piscine n’a même pas été remplie. Aucune musique, aucun cri d’enfant ne vient rompre le silence. Natacha ne viendra pas cet été.
Depuis que je suis née, il y a seize ans de ça, je passe les grandes vacances chez mes grands-parents, dans ce petit village des Pyrénées. C’est un peu ma deuxième maison, j’en connais tous les recoins. Mes parents tiennent un hôtel sur la côte, pour eux pas question de prendre des vacances en été, c’est la pleine saison pour le tourisme. Alors tous les ans, ils m’envoient les deux mois chez mes grands-parents pour ne pas m’avoir dans leurs jambes. Et tous les ans, j’attends avec impatience ce moment ! Parce que dans la maison d’en face, je retrouve ma meilleure amie Natacha.
Je la connais depuis toujours. On a noué une amitié indéfectible à l’âge des premiers châteaux de sable et des gamelles à vélo. Elle m’a appris à grimper aux arbres, à pêcher dans le torrent. Et moi je l’ai initiée au roller, au badminton, à la danse moderne. Ensemble on a partagé des chasses aux papillons, des nuits à la belle étoile dans le jardin, des jours de pluie avec nos maisons de poupées ou des crises de fou-rire devant des déguisements farfelus.
Deux mois de vacances qui passent toujours trop vite.
Cette année Natacha n’est pas là. Ses parents viennent de divorcer et sa mère a préféré l’envoyer en séjour linguistique en Angleterre plutôt que chez ses grands-parents paternels. Nat m’a écrit une longue lettre pour tout me raconter.
Et pendant qu’elle visite les monuments londoniens en devisant gaiement en anglais, je contemple la maison qui semble abandonnée de l’autre côté de la haie.

Ça ne fait pas une semaine que je suis arrivée, et déjà je m’ennuie. Livrée à moi-même, je tourne en rond dans la maison sans savoir quoi faire, alors que les autres années je débordais d’idées pour m’occuper. Seule ce n’est pas drôle.
– Sofia !
La voix de mamie me tire de mes sombres ruminations. Je descends la rejoindre dans le salon.
– Ma chérie, tu ne voudrais pas monter dans le grenier ? J’ai promis à madame Moncet de lui prêter le stérilisateur pour ses conserves et je ne le trouve pas dans la cuisine.
– Le stérilisateur ? La drôle de marmite dans laquelle tu fais cuire tes bocaux ?
Mamie rigole.
– Oui, c’est ça. Tu veux bien aller voir si tu le trouves ? Je ne m’en suis pas servie depuis l’automne dernier, papy l’a sans doute rangé sur les étagères du fond.
Je retiens un soupir. Voilà à quoi ressemblera mon été cette année, courir d’un côté sur l’autre dans la maison pour rendre service à mes grands-parents.
– J’y vais.
– Merci ma chérie, tu es gentille, me sourit mamie.
Sans attendre, je grimpe jusqu’au grenier, repoussant d’une main assurée la trappe qui en dissimule l’accès. Les ouvertures qui donnent sur l’arrière de la maison apportent juste assez de lumière. Je ne juge pas utile d’allumer l’ampoule poussiéreuse qui pend, accrochée à la poutre qui soutient le toit de la maison.
Je regarde autour de moi, tachant d’apercevoir la haute marmite métallique dans le fatras d’objets que mes grands-parents conservent soigneusement. Des livres aux pages jaunies s’entassent dans des caisses. Dans un coin, une armoire à la porte mal fermée laisse dépasser la manche d’un manteau de lainage marron. Je souris en reconnaissant ma dînette d’enfant, mes premiers albums de coloriage. Mamie ne jette jamais rien.
Je m’avance lentement dans la pièce, vers les étagères du fond dont mamie a parlé. Et il est bien là, posé entre des bocaux vides et une pile de vieux magazines de cuisine. Tandis que je m’approche pour m’en saisir, mon regard tombe sur une vieille malle de cuir que je n’avais jamais remarquée. Est-elle nouvelle ou a-t-elle été placée dans le grenier depuis peu ?
L’objet restant muet face à mes interrogations, je récupère le stérilisateur et le descends à mamie qui me remercie d’un sourire chaleureux. Alors que je m’attends à ce qu’elle me demande de le porter à son amie, elle s’installe devant le plan de travail pour éplucher des pommes de terre.
Ma curiosité en éveil, je ne peux résister à l’envie de l’interroger.
– Mamie, c’est quoi cette malle à côté des étagères ? Je ne l’avais jamais vue.
Elle hésite un instant avant de répondre, comme si elle cherchait à se souvenir de l’objet dont je parle.
– Celle avec la serrure de cuivre ?
– Euh… c’est possible, je n’ai pas fait attention. Elle est posée derrière le rocking-chair.
– Oui, c’est celle-là, approuve-t-elle. Elle appartenait aux parents de papy, tes arrière-grands-parents.
– Je ne les ai pas connus.
– C’est normal ma chérie. Ils sont morts longtemps avant ta naissance.
– Comment ça se fait que cette malle n’était pas là avant ?
Mamie pousse un léger soupir.
– Elle était chez ta grand-tante, la sœur aînée de papy qui est décédée cet hiver. Dans son testament, elle disait qu’il était important de la garder dans la famille.
Je ne peux m’empêcher d’insister.
– Et il y a quoi dedans ?
– Je ne sais pas, de vieux papiers sans doute.
– Vous n’avez pas regardé ?
– Juste superficiellement, quand on l’a reçue. Mais papy a eu une vilaine bronchite à ce moment-là et on l’a rangée dans le grenier sans plus y penser.
Mamie se déplace devant l’évier, remplit une petite bassine d’eau et commence à couper les pommes de terre en rondelles, avant de les laisser tomber dans l’eau.
– Je peux fouiller dedans ?
– Si ça t’amuse, mais ne t’attends pas à y découvrir un trésor.
Je souris.
– Je sais, c’est juste que… ça m’occupera.
Mamie me lance un regard compatissant.
– Je suis désolée pour toi que Natacha ne soit pas là. C’est dur aussi pour ses grands-parents, ils se sentent bien seuls cet été.
N’ayant pas envie de m’étendre sur le sujet, je marmonne une vague réponse avant de sortir de la cuisine.

Le début d’après-midi est toujours calme.
Installé dans le jardin sur une vieille chaise longue, son chapeau de paille sur le visage pour se protéger des insectes, papy fait la sieste. Dans le salon, les volets tirés pour atténuer l’éclat du soleil, mamie somnole devant son feuilleton télévisé.
La chaleur pèse sur la maison, sur le village tout entier. Allongée sur mon lit, je me laisse bercer par le son de la télévision qui monte jusqu’à moi. Je suis à deux doigts de m’endormir quand l’image de la malle en cuir surgit dans mon esprit. Qu’y a-t-il dedans ? Juste de vieux papiers inintéressants comme semble le penser mamie ?
En imagination, j’ouvre le couvercle, découvrant des bijoux oubliés, des pierres précieuses brillant de mille feux, des fioles de parfum en verre filé… une lettre datant de la révolution française peut-être, prouvant une ascendance avec la famille royale d’un pays lointain.
La curiosité me dévore. C’est comme si quelque chose me poussait à aller soulever ce couvercle. Qu’y a-t-il dans cette malle ?
Je me lève silencieusement, sors de ma chambre pour longer le couloir. Arrivée sous la trappe qui mène au grenier, je positionne l’échelle et en escalade les barreaux avec agilité pour me trouver à nouveau sur le plancher en bois.
Le soleil a tourné depuis ce matin et la lumière est plus diffuse dans la vaste pièce, éclairant des toiles d’araignée jusque là restées dans l’ombre. Il fait chaud, presque trop. Rien n’a bougé et pourtant tout semble différent, comme si les objets retenaient leur souffle dans l’attente de…
Je me secoue intérieurement. Qu’est-ce que je raconte, là ? Des objets qui retiennent leur souffle !
Je traverse le grenier d’un pas décidé. Mes pas résonnent dans le silence et je réalise que d’ici, je n’entends plus le poste de télévision.
La malle est toujours à côté des étagères du fond, derrière le rocking-chair. Elle paraît moins grande que dans mon souvenir, moins poussiéreuse aussi. Je m’assois sur le sol et souffle sur le couvercle. De minuscules grains de poussière s’envolent, s’illuminant fugitivement dans un rayon de soleil.
La serrure n’est pas verrouillée, je soulève le couvercle en retenant mon souffle avant de me pencher sur ce qu’elle contient.
À première vue il ne s’agit que de papiers, comme mamie me l’avait dit. Je suis déçue, je l’avoue. Mais je ne renonce pas pour autant. Peut-être se cache-t-il quelque chose de plus intéressant sous les actes de propriété et les courriers officiels ?

Un quart d’heure plus tard, le contenu de la malle s’étale autour de moi en piles bien nettes.
Des papiers, beaucoup de papiers, factures et autres courriers sans intérêt pour moi. Une petite boite à bijoux contenant deux alliances ternies gravées d’une date que je peine à déchiffrer. Un recueil de poèmes d’un auteur dont le nom ne me dit rien – mais j’ai toujours été hermétique à la poésie. Une montre à gousset comme je n’en avais jamais vue ailleurs que dans les films. Un châle crème finement brodé d’arabesques. Une boîte en carton peu épaisse sur laquelle le mot « photos » est écrit en lettres dorées. Quelques babioles qui devaient avoir une valeur sentimentale pour leurs propriétaires mais qui mériteraient plus une place dans une poubelle : plumes noires et blanches, brindilles aux formes torturées, éclats de verre d’un miroir brisé peut-être, pierres colorées sans éclat.
Je soupire, je suis très loin du trésor escompté contre lequel mamie m’avait pourtant mise en garde.
Sans conviction, je pose la boîte en carton sur mes genoux et en soulève le couvercle, m’attendant presque à la trouver vide. Mais non, elle contient bien une dizaine de photos en noir et blanc, soigneusement enveloppées dans du papier de soie. Je retourne la première, déchiffre laborieusement quelques mots manuscrits qui n’ont aucun sens pour moi, suivis d’une date : juillet 1914.
Je la retourne à nouveau et m’attarde sur la scène qu’elle représente, un jeune couple en tenue de mariés devant la margelle d’un puits. Il me faut un moment avant de réaliser qu’il s’agit des parents de papy, mes arrière grands-parents. L’homme porte un costume sombre sur une chemise claire, des lunettes à fine monture et son visage arbore une mince moustache. À ses côtés, une femme qui semble à peine plus âgée que moi, revêtue d’une longue robe que je devine blanche. Sur ses épaules, le châle que j’ai trouvé dans la malle dont je reconnais les arabesques. Ses cheveux sombres sont ornés d’une couronne de fleurs et ses mains gantées tiennent un bouquet auquel s’accroche un long ruban.
Le vent semble faire onduler les plis de la robe de la mariée et les cheveux bouclés de l’homme. Je souris devant le talent du photographe qui a su saisir ce moment… avant de me figer brusquement. La robe vient de bouger réellement sous mes yeux !
Je dois rêver. Je me penche sur la photographie, le regard rivé sur le couple de jeunes mariés immobiles. Un souffle d’air chaud me caresse la joue et je vois à nouveau la robe onduler sous mes yeux. Une mèche bouclée s’échappe de la coiffure de la mariée, qui s’empresse de l’écarter de son visage. L’homme lui sourit, ses lèvres s’écartent pour murmurer quelques mots silencieux et il dépose un baiser sur la joue de sa jeune épouse qui rougit.
Mes doigts sont crispés sur les bords de la photographie. Comment est-il possible qu’une scène immortalisée un siècle plus tôt puisse prendre vie sous mes yeux ? On n’est pas dans Harry Potter, bon sang !
Fébrilement, je sors les autres photos de la boîte et les éparpille sur le couvercle de la malle. Ce sont des clichés classiques pour l’époque : le même couple devant une majestueuse demeure, la jeune femme avec un bébé dans les bras, l’homme en costume militaire, un bébé dans les bras de sa mère, puis un autre encore. Plusieurs photos représentent le couple entouré de ses trois enfants avec les montagnes ou la mer en arrière plan.
À première vue, les scènes semblent figées par l’œil de photographe. Mais dès que mes yeux s’attardent sur une photo, je la vois s’animer subtilement. Les bébés gigotent dans les bras de leur mère. Le couple avance main dans la main. La jeune femme rajuste sa coiffure ou son mari remonte les lunettes qui glissent le long de  son nez. Les vagues moutonnent derrière le couple, des nuages passent dans le ciel.
Je reste bouche bée devant cette incroyable découverte. C’est bien plus qu’un trésor ou un secret de famille, c’est… impossible !

Du bout des doigts, j’effleure le premier cliché, celui avec les jeunes mariés. C’est comme si je touchais la surface d’un étang emprisonnée par la glace, mais derrière laquelle la vie continue. J’écarte vivement la main, une sensation de picotement s’attarde là où mes doigts ont frôlé le papier.
Je croise le regard de la jeune mariée qui me sourit avant de chuchoter quelques mots silencieux à l’oreille de son mari, qui me dévisage à son tour. L’un et l’autre tendent une main vers moi, comme pour m’inciter à les rejoindre. Ma main se tend, s’arrête à quelques centimètres de la photographie.
Une odeur nouvelle effleure mes narines, me rappelant vaguement les pots-pourris que mamie aime disposer dans les chambres. Un courant d’air vient agiter les papiers posés sur le sol à côté de moi, menace d’éparpiller les photos. Je les rassemble hâtivement et les range dans la boîte en carton, ne gardant que celle des mariés dans ma main, mes doigts évitant soigneusement de toucher l’image animée sur laquelle le couple chuchote, penché l’un vers l’autre.
L’odeur de fleurs devient plus tenace, elle ne m’évoque plus un pot-pourri mais un bouquet fraîchement coupé. Dans ma main, la photographie devient lourde et la scène semble s’élargir sous mes yeux, emplissant tout l’espace en face de moi.
Sans en avoir conscience, mes doigts se tendent vers l’image et se posent juste à l’endroit où la jeune mariée tend sa main vers moi. La surface de la photo est froide, trop froide pour cette chaude journée d’été. J’ai l’impression que pendant un moment, la chaleur de ma peau lutte contre le papier glacé. Puis c’est comme si la mince couche de glace explosait sous mes doigts et je me sens aspirée par un tourbillon. Couleurs, sensations, odeurs, tout se mélange. Je ferme les yeux, le souffle bloqué dans ma gorge.
Lorsque le monde s’arrête de tourner autour de moi, je prends conscience du sol sous mes pieds – de la terre et non les lattes de bois du grenier. Un vent frais souffle dans mes cheveux, m’apportant l’odeur de la mer à laquelle se mêle celle des albizzias en fleurs.
J’ai peur d’ouvrir les yeux, de découvrir ce qui m’entoure.
– C’est elle, murmure une voix féminine à l’accent chantant.
Un frisson parcourt mon corps.
– Elle est effrayée, remarque une voix plus grave, une voix d’homme.
– Moi aussi je l’étais, répond doucement la femme.
Mes paupières se soulèvent malgré moi. Ils sont juste en face de moi. Les jeunes mariés de la photographie. Ils me regardent. Je les observe en retour.
Ils sont réels, plus du tout une image en noir et blanc sur papier glacé.
Je m’attarde sur le visage de la femme, elle me ressemble. Ou plutôt, je lui ressemble. Le même nez fin, les mêmes pommettes hautes. Les cheveux de cette même nuance auburn. Elle pourrait être ma sœur si elle n’était mon arrière-grand-mère. Un siècle nous sépare.
Elle me sourit, un sourire qui illumine son visage, rayonne jusqu’à ses yeux. Je le lui rends en tremblant.
– J’aimerais te souhaiter la bienvenue, commence-t-elle de sa voix chantante, après une courte hésitation. Mais si tu es là aujourd’hui, c’est que le Pouvoir n’est pas mort, qu’il coule dans tes veines comme il coulait dans les miennes.
– Le… le Pouvoir ?
– Tu ne sais pas encore. Mais bientôt il se manifestera et tu sauras.
Je ne comprends pas ses paroles. De quoi parle-t-elle ?
– Je n’ai pas le droit de t’expliquer, poursuit-elle, devinant mes interrogations. Tu dois le découvrir par toi-même. Mais sache que notre lignée remonte à la nuit des temps.
Je suis perdue. Une lignée, un pouvoir ? Le sourire s’efface soudain de son visage.
– Tu dois te garder de Lui, me presse-t-elle en attrapant ma main et en la serrant fort dans la sienne. Il cherchera à t’atteindre de mille façons différentes, Il est puissant. Le Pouvoir t’aidera quand tu l’auras trouvé.
– Tu lui en dis trop, proteste son mari en l’éloignant de moi.
– Elle est si fragile. Elle ne sait rien de ce qui l’attend, des épreuves…
Sa voix se brise sur ce dernier mot.
Je n’ai pas bougé, pourtant je les sens s’éloigner… à moins que ce ne soit moi. Leurs contours deviennent flous et je me sens à nouveau aspirée dans le tourbillon qui m’a amenée près d’eux.
Je la devine qui tend une main désespérée vers moi. Sa voix me parvient, déjà lointaine.
– Reviens-moi lorsque tu sauras… si tu Lui survis.
Je ne suis pas sûre d’avoir compris ses derniers mots. Le tourbillon m’emporte, me ballotte en tous sens comme une poupée de chiffon. J’ai l’impression d’être tiraillée dans toutes les directions à la fois. Un hurlement silencieux monte en moi. Je perds connaissance.

– Sofia ? Sofia !
La voix de mamie me tire de l’état de prostration dans lequel je me trouve.
Je suis dans le grenier baigné de lumière, assise par terre à côté de la malle de cuir. Autour de moi, rien n’a bougé. Les papiers sont toujours alignés en piles bien nettes. La boîte en carton contenant les photographies est sagement posée sur mes genoux.
La tête de mamie apparaît par la trappe restée ouverte. Elle sourit en m’apercevant.
– J’étais persuadée de te trouver là.
Je ne suis pas sûre de pouvoir parler, mais je ne peux éviter de lui répondre.
– Tu… tu me cherchais ?
Ma voix résonne comme d’habitude.
Du coin de l’œil, j’aperçois la photo des jeunes mariés que je tiens toujours à la main. La femme pose lentement un doigt sur sa bouche avant de reprendre sa pose initiale. Je sais avec une certitude que je ne peux expliquer qu’elle restera immobile jusqu’à notre prochaine rencontre.
– Pas vraiment, répond mamie, sans que je puisse me rappeler la question que je viens pourtant de lui poser.
Elle finit de se hisser dans le grenier et vient s’asseoir dans le rocking-chair à côté de moi.
– Tu as trouvé quelque chose d’intéressant dans cette malle ?
– Surtout des vieux papiers. Un châle, des alliances, une montre.
De ma main libre, je lui montre les objets éparpillés sur le sol.
– Et… et quelques photos.
Mamie se penche pour attraper la montre à gousset, appuie sur le mécanisme pour l’ouvrir.
– Mon grand-père en avait une dans ce genre, dit-elle avec un soupçon de nostalgie. Je crois qu’il la tenait de son propre grand-père. Je me demande bien ce qu’elle est devenue quand il est mort.
Elle pousse un soupir avant de se tourner vers moi, le regard malicieux.
– Alors, tu n’as découvert aucun trésor, ni terrible secret dans tous ces papiers ?
Le mensonge me vient aux lèvres avec naturel.
– Non, tu avais raison. Tu veux voir les photos ?
Devant son acquiescement, je lui tends la boîte en carton sur laquelle je pose la photographie des jeunes mariés. Mamie ne s’attarde qu’un instant dessus, avant de me montrer la dernière avec le bébé.
– Regarde, c’est ton grand-père ! Je ne savais pas que sa sœur avait conservé ces photos.
– Tu les avais déjà vues ?
– Il y a très longtemps, peu après notre mariage.
Je réalise soudain que je ne connais rien de mes arrière-grands-parents, même pas leur nom. Ça me semble important après notre rencontre irréelle.
– Ils s’appelaient comment, les parents de papy ? Tu les as bien connus ?
– Lui s’appelait Louis. Je ne l’ai jamais rencontré, il a été tué pendant la guerre.
– Et sa mère ?
Mon insistance semble faire plaisir à mamie. Au moins, je ne suis plus en train de me morfondre dans ma chambre, doit-elle penser.
– Je l’ai très peu connue. Elle est morte jeune, bien avant la naissance de ta mère. Elle était déjà très malade lorsque nous nous sommes mariés, papy et moi.
– Malade ? Elle avait quoi ?
– Je ne sais pas. Certaines maladies échappaient aux connaissances des médecins à l’époque.
– Oh…
Je regarde une nouvelle fois la photographie des jeunes mariés. Ils sont jeunes, amoureux ; ils semblent heureux. Il m’est difficile d’imaginer que leur vie sera brève.
Mamie se lève de la chaise à bascule et commence à replacer les papiers et les divers objets dans la malle. Je me tourne vers elle.
– Dis, je peux garder cette photo ?
– Bien sûr, ce sont tes arrière-grands-parents. Tu veux aussi une de celles avec papy ?
– Non, juste celle de leur mariage.
Mes doigts caressent doucement le bord de la photo. Je sens que mamie se penche par-dessus mon épaule pour la regarder elle aussi.
– Elle était très belle, murmure-t-elle. Tu lui ressembles un peu.
– Tu ne m’as pas dit comment elle s’appelait.
– Elle portait le même prénom que toi, me glisse mamie.
Une douce flamme s’allume en moi tandis que je murmure son nom.
– Sofia…
Sur l’image, la robe de la mariée semble onduler sous l’effet d’une brise légère.