La salle d’attente est déserte.
Assise dans un fauteuil de toile rouge, elle contemple d’un œil indifférent les magazines éparpillés sur la table basse. Avec lassitude, elle appuie sa tête contre le mur couleur pêche, ferme les yeux.
Par la fenêtre ouverte, les accords discordants d’une fanfare lui parviennent. « C’est vrai », songe-t-elle avec un imperceptible soupir, « c’est la fête de la musique ce soir. »
La fatigue de ces dernières semaines se fait sentir. Dormir, oublier les soucis l’espace d’un instant. Elle se laisse bercer par la musique vaguement familière, cherche en vain à reconnaître le morceau.
Une image se forme dans sa tête, un souvenir qu’elle croyait oublié.
Elle se secoue intérieurement, refuse de se laisser entraîner dans cette direction. Mais le souvenir s’accroche, refuse de retourner dans sa mémoire, dans le coffret dans lequel elle le tient enfermé depuis des années.
Pourquoi maintenant, dans cette salle d’attente anonyme ?
La chaleur de ce premier jour de l’été l’enfonce dans une torpeur hypnotisante. Sa résistance faiblit. Toute digue rompue, elle finit par se laisser emporter par la vague qui déferle sur elle.
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C’était le jour de son vingtième anniversaire.
Depuis le matin elle s’activait, passait mentalement en revue tous les détails. Elle avait fait provision de petits gâteaux sucrés et salés pour le buffet ; le réfrigérateur regorgeait de jus de fruits et autres sodas. Son ami Stéphane, spécialiste en cocktails maison, était chargé d’apporter les bouteilles d’alcool. Il lui donnerait un coup de main pour déplacer les meubles et installerait lui-même la sono dans l’après-midi.
Dans sa chambre d’enfant, posée sur son lit, la tenue qu’elle porterait ce soir. Une courte robe charleston pourpre agrémentée de rangées de franges plus claires qu’elle avait elle-même soigneusement cousues.
Armée d’un balai, elle s’attaqua au ménage du sous-sol sous le regard bienveillant de sa mère. Elle lui était reconnaissante de lui permettre de fêter son anniversaire en compagnie de tous ses amis ailleurs que dans le minuscule studio dans lequel elle logeait depuis qu’elle avait quitté la maison.
Elle s’assit un instant sur la balancelle, posa un regard critique sur le sol de béton, les murs de parpaings nus. Le cadre n’était pas somptueux, mais que lui importait ?
Les heures défilèrent plus vite que prévu.
En compagnie de quelques amis, elle termina les préparatifs, accrocha la boule à facettes au plafond, fit des essais avec les spots lumineux. Derrière un vieil établi de bois brut, Stéphane vérifiait les branchements de la chaîne hi-fi tandis que Florent, son meilleur ami, passait en revue les cd entreposés dans un carton. À l’autre bout de la pièce, Cathy disposait des gobelets en plastique et des serviettes en papier colorées sur la table qui servirait de buffet.
– J’ai terminé, annonça-t-elle en revenant vers les autres. On mettra ce qui se mange au dernier moment. Tu as prévu quoi en plus des gâteaux apéritifs ?
– J’ai préparé une grosse salade de pâtes, des chips, des cubes de fromage… et Delphine a dit qu’elle apporterait une tarte.
– Il y a le gâteau d’anniversaire aussi, ajouta Florent, les yeux pétillants, mais tu n’es pas censée être au courant.
– Je n’ai rien entendu, rit-elle.
– Au fait, j’ai proposé à un pote du club cyclisme de venir, intervint Stéphane.
– Oh… Je le connais ?
– Je ne pense pas. Je l’ai croisé hier en ville, il n’a pas trop le moral en ce moment. Je me suis dit que ça lui changerait les idées. Tu verras, il est sympa.
– Ok, pas de problème. Une personne de plus ou de moins, ça ne fera pas de différence.
S’approchant d’elle, Florent passa un bras autour de sa taille et la fit tourbillonner dans la pièce avant de déposer un baiser amical sur sa joue.
– On a terminé, il ne reste plus à la reine de la soirée qu’à se préparer !
Elle sourit, heureuse.
– Je rentre me changer moi aussi, fit Cathy en attrapant son manteau posé sur la balancelle. J’espère qu’on n’aura pas froid avec nos robes légères.
– Tu aurais peut-être dû choisir le grand nord comme thème de la soirée, plutôt que les années 20, la taquina Stéphane.
Ils éclatèrent de rire, amusés à l’idée d’une soirée en parka et bottes fourrées.
– Maman a un vieux radiateur électrique, je vais le brancher en attendant le début de la soirée histoire de réchauffer un peu la pièce.
– Ne t’inquiète pas, quand on sera une vingtaine à se trémousser sur la piste de danse, on n’aura pas froid, la rassura Florent.
– À tout à l’heure, la salua Cathy en sortant par la porte du garage, bientôt imitée par Stéphane.
Restée seule avec son meilleur ami, elle l’entraîna à l’étage et l’envoya prendre sa douche tandis qu’elle vérifiait une nouvelle fois qu’elle n’avait rien oublié, avant de descendre brancher le radiateur. Il faisait encore froid pour une mi-février.
Le temps s’accéléra à nouveau et elle se retrouva dans sa chambre.
Nonchalamment allongé sur le lit dans un costume noir, un chapeau de feutre assorti posé à côté de lui, Florent la conseillait pour les touches finales de sa tenue.
– Fais voir avec l’autre collier, lui suggéra-t-il en lui tendant un sautoir en fausses perles.
Docilement, elle enfila le long collier et le noua au niveau de sa poitrine avant de se tourner vers son ami.
– Non, fit-il finalement, je préfère le tour-de-cou, ça te va mieux.
Elle soupira en ôtant le bijou.
– Pourquoi j’ai choisi ce thème ridicule ? Je n’y connais rien et ça ne me ressemble pas du tout, s’énerva-t-elle en se désignant du doigt.
– Arrête, tu es superbe, la rassura son meilleur ami, se levant du lit.
D’une main, il attrapa le tour-de-cou en tissu soyeux posé sur la commode et l’attacha délicatement autour du cou de la jeune femme.
– Allez, regarde-toi, dit-il en l’attirant devant le miroir qui ornait la porte de la chambre.
Avec toute la mauvaise volonté dont elle était capable, elle contempla son reflet, cherchant à reconnaître l’inconnue qui la dévisageait.
Ses courts cheveux bruns habituellement ébouriffés étaient artistiquement coiffés en boucles légères dont l’une retombait presque négligemment au coin de l’un de ses yeux, lui donnant un air mutin. Ses grands yeux sombres ombrés de noir ressortaient sur sa peau pâle. Une touche de brillant sur ses lèvres, assorti à sa robe, lui donnait envie de tenter une moue boudeuse pour vérifier si elle était bien toujours elle.
La robe à fines bretelles, réalisée sur mesure par sa mère, mettait en valeur ses formes féminines et lui descendait à mi-cuisses. Les franges dont elle était ornée se balançaient harmonieusement à chacun de ses mouvements. Ses jambes gainées de bas noir et les escarpins qui les accompagnaient affinaient sa silhouette.
– Il ne me manque plus que le long porte-cigarette et une plume dans les cheveux, ironisa-t-elle pour dissiper le trouble qui l’avait saisie devant ce reflet qu’elle ne reconnaissait pas.
– Je ne vois pas ce que tu ferais d’un porte-cigarette, tu ne fumes pas, remarqua Florent. Mais je t’ai apporté ça pour les plumes, ajouta-t-il en lui tendant un boa noir qu’il déposa sur ses épaules.
– Où tu as trouvé ça ? s’exclama-t-elle, surprise.
Il sourit.
– Je l’ai emprunté à une amie de ma mère qui bosse dans un théâtre.
Un bruit de musique assourdi leur parvint soudain. Au sous-sol, les festivités avaient commencé.
– Prête ?
– Je suppose que je n’ai pas le choix, soupira-t-elle, mal à l’aise dans cette tenue qui lui ressemblait si peu – elle était plus familière des jeans et des larges pulls – mais bien décidée à profiter de sa soirée d’anniversaire.
Lui souriant pour l’encourager, Florent se coiffa du chapeau posé sur le lit et l’entraîna par la main vers l’escalier qui descendait au sous-sol, claironnant d’une voix forte « Place à miss Charleston, la reine de la soirée ! »
Le sous-sol résonnait de musique et de conversations animées quand Stéphane délaissa un moment les platines pour s’approcher d’elle. Il posa une main sur son bras pour attirer son attention.
– Le copain dont je t’ai parlé est arrivé. Tu viens le saluer ?
– J’arrive.
Avec un sourire, elle s’excusa auprès de son petit ami et suivit le jeune homme près de la porte du garage.
– J’aurais peut-être dû te prévenir, hésita ce dernier à voix basse. Il est un peu plus âgé que nous.
– Un peu ? Il a quoi, vingt-trois, vingt-quatre ans ? Ou il est plus près de la retraite ?
Stéphane rit.
– Non, quand même pas. Il approche de la trentaine. Et il est marié.
– Sa femme n’est pas venue avec lui ? s’étonna-t-elle.
– Non, c’est justement pour ça qu’il n’a pas trop le moral. Enfin, c’est un peu compliqué.
« Un homme à problèmes », songea-t-elle sans s’attarder sur la question. « J’espère qu’il ne va pas plomber l’ambiance de la soirée. »
Stéphane s’arrêta devant un homme qui leur tournait le dos, occupé à ôter son manteau.
– Salut, content que tu sois venu, fit-il en lui tendant la main. Voici l’amie qui organise la soirée.
– Bonsoir, répondit ce dernier, avant de se tourner vers elle. Merci pour l’invitation. Stéphane m’a dit que c’était ton anniversaire, je t’ai apporté un petit quelque chose, ajouta-t-il en lui tendant un paquet de petite taille. Au fait, je m’appelle Hugues.
Un frisson la parcourut. Sans doute la porte du garage était-elle restée entr’ouverte.
– Les amis de mes amis sont les bienvenus, l’accueillit-elle d’un sourire. Et merci pour le cadeau, il ne fallait pas te sentir obligé.
Levant la tête vers lui, elle croisa soudain le regard le plus bleu qu’elle ait jamais vu. Les mots qu’elle s’apprêtait à prononcer s’étranglèrent dans sa gorge.
– Je n’allais pas venir les mains vides, déjà que tu ne me connais pas, protesta-t-il avec chaleur.
Puis il lui sourit. Et le monde s’arrêta de tourner.
Une éternité de quelques secondes à peine.
– Donne, je vais le mettre avec les autres, proposa Stéphane, rompant la magie de l’instant.
– Hein ?
– Le paquet, je vais le mettre avec les autres.
– Oh… euh… oui, merci, balbutia-t-elle, incertaine quant à ce qui venait de se passer.
– Salut, résonna la voix de son petit ami tandis que son bras se posait sur ses épaules.
Il tendit la main au nouveau venu pour se présenter.
– Moi c’est Robert.
– Hugues.
Les deux hommes se serrèrent la main et la soirée reprit ses droits.
Les heures filèrent à nouveau.
Elle avait dansé, s’était amusée, avait soufflé les bougies du gâteau au chocolat et ouvert les cadeaux de ses amis. Une des plus belles soirées de sa jeune vie.
Saisissant le prétexte de débarrasser le buffet de la vaisselle sale, elle s’offrit quelques instants de pause dans l’effervescence ambiante. La musique lui parvenait atténuée tandis qu’elle jetait assiettes en carton et serviettes en papier dans un grand sac poubelle.
Après s’être lavé les mains à l’évier de la buanderie, elle s’appuya contre le mur et ferma les yeux, savourant ce moment de solitude.
– Je te dérange ? prononça une voix masculine.
Un frisson descendit lentement le long de sa colonne vertébrale. Elle savait qui venait de la rejoindre sans avoir besoin d’ouvrir les yeux. Elle les ouvrit néanmoins et croisa à nouveau le regard si bleu.
– Non, tu ne me déranges pas.
Il s’approcha pour n’être plus qu’à quelques pas d’elle.
– Je voulais te remercier pour l’invitation un peu forcée, sourit Hugues.
Son cœur manqua un battement. Elle l’ignora.
– Tu as passé une bonne soirée ? s’enquit-elle en se redressant.
– Oui, c’était… juste ce dont j’avais besoin.
Un éclair de souffrance traversa si rapidement son regard qu’elle se demanda si elle n’avait pas rêvé.
– Merci pour le coquillage, il est très beau, s’enthousiasma-t-elle sincèrement, faisant allusion au cadeau qu’il lui avait offert. Et ça change des bouquins et des cd.
– Je ne savais pas trop quoi apporter à quelqu’un que je ne connais pas… encore. Je l’ai ramené des Antilles.
Une douce chaleur la gagna tandis qu’elle s’efforçait d’ignorer le sous-entendu.
– Tu es allé aux Antilles ?
– J’y étais en vacances, je suis rentré depuis une semaine.
– Ah, c’est pour ça que tu es si bronzé en plein hiver !
– Oui, rit-il.
Son cœur fit un saut périlleux dans sa poitrine. Elle résista aux idées folles qui lui passaient soudain par la tête.
– Bon… et bien… commença-t-il, hésitant.
Les premières notes d’un slow des années soixante-dix se glissèrent jusqu’à eux depuis la piste de danse, emplissant le silence.
– Tu as dansé avec presque tout le monde ce soir, remarqua-t-il. Tu veux… ?
La chaleur qui l’habitait se répandit dans tout son corps.
– Ici ? réussit-elle à demander, la gorge nouée.
Il acquiesça silencieusement, lui tendant une main. Sans réfléchir, elle s’approcha de lui et posa la sienne sur son épaule. Sentit ses bras qui entouraient sa taille et l’attiraient contre lui.
Comme plus tôt dans la soirée, le temps sembla suspendre son vol.
Ils n’échangèrent pas un mot, il n’en était nul besoin.
Et lorsqu’ils se séparèrent quelques minutes plus tard, il déposa un baiser léger sur sa joue avant de s’éloigner sur un « Merci, au revoir… »
Cette fois, le temps accéléra sa course et la transporta dans un autre souvenir, une autre soirée d’anniversaire, trois mois plus tard.
Elle avait quitté l’entreprise dans laquelle elle était en stage plus tard que prévu et ça avait été la course pour rentrer chez elle. Sauter dans le train, regagner son minuscule studio, prendre une douche, se préparer et reprendre les transports en commun pour arriver à l’heure chez son ami Stéphane, qui profitait de l’absence de ses parents pour fêter ses vingt-et-un ans.
Elle s’était tellement dépêchée qu’elle était finalement la première arrivée parmi leurs amis communs.
Dans un coin du salon, des camarades de classe de Stéphane discutaient entre eux, ignorant sa présence. Désœuvrée et mal à l’aise, elle s’approcha de la bibliothèque et commença à déchiffrer les titres des ouvrages pour passer le temps, regrettant de n’avoir pu se joindre à ceux qui arriveraient ensemble un peu plus tard.
La sonnette de l’entrée retentit. Elle entendit Stéphane délaisser la préparation de cocktails pour aller ouvrir la porte et accueillir un autre de ses invités.
La voix masculine qui lui répondit la fit frissonner de la tête aux pieds malgré la chaleur.
D’un geste machinal, elle lissa la robe bleu marine à fleurs qu’elle portait ce soir, se félicitant intérieurement d’avoir revêtu une tenue féminine et non la tunique et le pantalon large qu’elle avait initialement prévus.
La porte du salon s’ouvrit et Hugues pénétra dans la pièce.
Elle ne l’avait pas revu depuis trois mois, s’était efforcée de ne pas penser à lui, à ce trouble qu’elle avait ressenti en sa présence. Et il était à nouveau en face d’elle. Elle l’observa discrètement.
D’une taille moyenne, il avait des cheveux châtain coupés courts, un visage amical dans lequel brillaient des yeux d’un bleu intense. Tout dans son allure dénotait le sportif qui aimait prendre soin de sa forme physique. Ce soir, il était vêtu d’un jean et d’une chemise blanche dont le col était entr’ouvert.
Depuis l’entrée du salon, Hugues parcourut la pièce des yeux et son regard s’illumina lorsqu’il aperçut la jeune femme solitaire près de la bibliothèque. Sans hésiter, il se dirigea vers elle.
– Bonsoir, lui glissa-t-il chaleureusement avant de l’embrasser amicalement.
Sa joue la picota là où ses lèvres s’étaient posées sur sa peau. Elle ignora le frisson qui la parcourut au son de sa voix chaude.
Elle le salua en retour, incapable de dissimuler l’étincelle de plaisir qui s’était allumée dans ses yeux.
– Tu es là depuis longtemps ? lui demanda-t-il.
– Une dizaine de minutes. J’avais hâte de voir un visage connu, avoua-t-elle.
– Ils ne sont pas venus te parler ? s’étonna-t-il, regardant les garçons qui continuaient de discuter entre eux en les ignorant.
– Non, je ne les connais pas.
– Tant mieux ! s’exclama-t-il, la surprenant. Comme ça, on pourra parler rien que tous les deux.
Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Elle se força à penser à Robert, son petit ami qui la rejoindrait un peu plus tard dans la soirée. À ce que Stéphane lui avait raconté sur les fameuses complications de la vie d’Hugues : marié depuis plusieurs années, une femme enceinte dont il s’était éloigné, une maîtresse à peine majeure. Le cliché dans toute sa splendeur.
Pourtant, quand elle le regardait, elle ne voyait qu’un homme qu’elle avait envie de connaître, un homme qui l’attirait dangereusement. Un homme que sa conscience lui criait de fuir.
Elle musela sa conscience et suivit son cœur. Juste pour quelques minutes. Pour une soirée.
Et de confidences innocentes en propos légers, ils avancèrent irrémédiablement sur le chemin de l’amitié, avec cette impression de se connaître depuis toujours.
Un nouveau bond en avant l’emporta en fin de soirée.
Dans le fond de la pièce, un peu à l’écart, un coin salon avait été aménagé. Assise sur l’accoudoir du fauteuil dans lequel Robert avait pris place, son bras à lui passé autour de sa taille à elle, elle écoutait les conversations sans y prendre part.
Le jeune homme était arrivé à la fête en boitant et elle avait été navrée d’apprendre qu’il s’était blessé au genou sur son lieu de travail. Il semblait moins souffrir depuis qu’il était confortablement installé, mais elle n’avait pu s’empêcher de lui demander pourquoi il s’était imposé une route fatigante dans son état, plutôt que de rester au calme chez lui avec une poche de glace sur l’articulation. « Pour être avec toi », lui avait-il répondu.
Désarmée par cette preuve d’amour, elle avait passé la plus grande partie de la soirée avec lui. Mais derrière l’affection qui avait motivé sa décision, se terrait la culpabilité de cette attirance qu’elle ne pouvait ignorer, qu’elle ne désirait ignorer. Qui sonnait peut-être le glas de sa relation avec le jeune homme.
Depuis sa position en retrait, elle avait observé l’évolution de la soirée, les invités qui se pressaient autour du buffet, ceux qui évoluaient sur la piste de danse improvisée, les couples qui s’isolaient pour flirter gentiment.
Malgré ses efforts pour ne pas regarder dans une certaine direction, elle n’avait pu s’empêcher d’apercevoir la jeune fille brune, sûre d’elle et au corps délié, qui n’avait pas quitté Hugues d’une semelle depuis son arrivée, s’affichant sans vergogne avec un homme que la plupart ici savaient marié.
Elle ne ressentait aucune jalousie – de quel droit en aurait-elle ressenti ? – mais une petite voix dans sa tête lui parlait de curiosité malsaine et elle avait détourné les yeux.
Des chansons lentes succédèrent aux rythmes endiablés, incitant les couples à se former sur la piste. Elle se pencha vers son petit ami.
– Tu crois que tu pourrais danser un slow ? Sans trop bouger.
– Je ne crois pas, grimaça-t-il. Pas si je veux pouvoir conduire pour rentrer chez moi. Mais vas-y, toi ! Tu as passé toute la soirée à côté de moi, tu peux bien t’amuser un peu.
– Il a raison, s’immisça Florent, la prenant par la main pour l’entraîner sur la piste de danse. Allez, viens !
Après un regard vers Robert qui l’encouragea d’un sourire à accepter, elle suivit son meilleur ami dans l’autre partie de la pièce et se laissa porter par la musique.
Mais lorsque les premières notes de « Stairway to Heaven » de Led Zeppelin retentirent, elle s’éloigna dans un coin sombre de la pièce. Elle n’avait pas écouté cette chanson depuis trois mois, depuis sa soirée d’anniversaire, et elle ne voulait en rien gâcher le souvenir qu’elle en conservait.
Il n’y avait qu’une seule personne avec qui elle désirait partager à nouveau les huit minutes et quelques de ce morceau… et tout en elle lui criait qu’il n’était pas pour elle.
Elle ferma les yeux.
Quand elle les rouvrit, il était devant elle et la chaleur de son regard la brûla. Sans rien dire, il prit sa main et la mena au milieu des autres couples qui dansaient.
La tête posée sur son épaule, ses mains autour de sa taille, son souffle dans ses cheveux, l’odeur virile de sa peau, leurs deux cœurs qui battaient à l’unisson, un peu trop vite… Ces mots chuchotés à son oreille… « Il n’y a personne d’autre avec qui j’aurais voulu passer ce moment… »
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La scène sembla se diluer dans un tourbillon de couleurs et d’émotions, le passé laissant place au présent.
La salle d’attente est toujours aussi déserte et la musique de la fanfare s’est éloignée.
Une larme roule sur la joue. Elle n’a rien oublié, ni l’émotion de ces moments, ni tout ce qui a suivi. La souffrance est tenace.