Déjà dix jours que je n’ai pas ouvert un livre, que je n’ai pas écrit une ligne. Cela ne me ressemble pas, de rester éloignée des mots aussi longtemps.
Pourtant, ils tournent dans ma tête. Sans aucun sens, parfois. Ou en répétition sans fin de phrases, comme si mon cerveau était prisonnier d’une boucle temporelle littéraire.

Je ne me sens plus moi-même, comme si je me délitais en brume de pensées éparses.
Tout, autour de moi, va trop vite, est trop fort, se mélange en une cacophonie de sons et d’images. Et à l’intérieur je suis au ralenti, je me débats dans un engourdissement de l’esprit.

 

Depuis un mois et demi, je prends un « antalgique puissant qui combat la douleur en agissant directement sur le cerveau », autrement dit une substance stupéfiante à usage thérapeutique.
Ça fait bizarre la première fois que vous voyez votre médecin rédiger une ordonnance sécurisée, votre pharmacienne contrôler le nombre exact de gélules qu’elle vous prépare, à l’unité près.

Au début, je me suis dit « une semaine de morphine et ça ira mieux ».
Mais la douleur s’est installée, elle a pris ses aises dans mon corps sans me laisser un instant de répit. Et il a fallu augmenter le dosage, changer la posologie, adapter sans cesse pour tenter de casser le cycle de la douleur. En vain…
Tout ça pour un petit nerf comprimé au niveau de mes cervicales.

La douleur, je suis pour l’instant capable de me l’approprier. Je vis avec, elle fait partie de moi, elle vient de moi. Mais la morphine…
Elle change qui je suis. Elle me fait peur. Parce que je redoute de dépendre d’elle, même si c’est pour contrôler ma douleur. Parce que j’ai parfois l’impression de me perdre à l’intérieur de moi. Parce qu’il me faut sans cesse faire des efforts pour écouter, pour comprendre, pour dissiper la brume qui m’entoure.

Je passe la moitié de mes journées à somnoler sur le canapé, en partie parce que je ne dors pas la nuit, en partie parce que mon cerveau s’embrouille et que la morphine le plombe.
J’oublie ce qu’on me dit en quelques minutes, je ne sais parfois plus quel jour on est. Mon temps de réaction s’allonge, pour répondre, pour réagir à une situation. Je me sens perdue dans un monde qui va trop vite autour de moi, sans prise pour me mettre à son niveau.

Et tout ça, ça tourne sans cesse dans ma tête. Sans fin.