Je me tenais devant la porte fermée, le cœur battant.
Les mains moites, j’attendais que le couloir se vide, me demandant une fois de plus quelle folie m’avait amenée à cet endroit précis. Autour de moi, le bruit des conversations s’estompa. Bientôt, je n’entendis plus que les battements sourds de mon cœur. Avais-je perdu l’esprit ?
Poussée par quelque démon qui devait se réjouir de mes tourments intérieurs, je levai la main et frappai plusieurs coups peu assurés contre le battant de bois, espérant vaguement que personne ne vienne répondre.
Une éternité sembla s’écouler, je respirai plus librement alors que mon appréhension s’estompait devant l’évidence : il n’y avait personne.
Alors que je m’apprêtais à regagner la sécurité de ma chambre, la porte s’ouvrit soudain et il se tint devant moi, me dominant de sa grande taille, une interrogation polie dans les yeux.
– Yes ?
Le souffle court, j’oubliai instantanément le discours que j’avais pourtant soigneusement préparé. Une panique familière m’envahit et je maudis le brusque accès de courage qui m’avait conduite dans ce couloir.
Une pensée traversa mon esprit tétanisé, je n’avais rien à perdre à vivre cette folie jusqu’au bout.
– Pouvons-nous discuter quelques instants ? m’entendis-je lui demander en anglais.
Visiblement surpris par la requête inattendue de cette inconnue, il ouvrit néanmoins sa porte et m’invita à entrer.
Je m’avançai dans la chambre d’hôtel, remarquant à peine la douceur de l’épaisse moquette grise, la sobriété du mobilier de bois sombre, la valise entr’ouverte posée sur le pied du lit.
D’une politesse exquise teintée d’un soupçon de curiosité, il m’invita à m’asseoir sur le canapé disposé entre les deux fenêtres. Je traversai la pièce comme dans un rêve et pris place sur le siège de velours brun avec un soulagement que je dissimulai derrière un sourire crispé. Même si mes jambes tremblantes me lâchaient, je ne m’effondrerais pas lamentablement sur le sol en face de lui.
Après une seconde d’hésitation, il vint me rejoindre sur le canapé – j’aurais pu le toucher en tendant la main vers lui – et il se tourna vers moi, attendant patiemment que je lui explique la raison de ma présence.
La gorge nouée, je gardai les yeux baissés de peur de croiser son regard et de perdre le peu de moyens qui me restait.
– Je… je sais que vous ne me connaissez pas, et vous… vous allez sans doute me prendre pour une folle, mais… balbutiai-je sans plus réfléchir, les mots s’échappant soudain de mes lèvres sans que je puisse les retenir malgré mon manque de pratique de la langue de Shakespeare. Je n’aurai sans doute jamais d’autre occasion et je, je… je ne veux pas me dire, dans quelque temps, que j’ai bêtement laissé passer ma chance.
« Je connais trop bien », ajoutai-je en moi-même, « le poids des regrets des occasions que l’on n’a pas eu le courage de saisir… »
Je levai finalement les yeux sur son visage pour observer sa réaction. Malgré l’incohérence de mes propos, il me regardait avec la même expression concentrée qu’il arborait toujours avant l’extinction des feux rouges.
Sentant une chaleur inopportune gagner mes joues sous ce regard pénétrant, je baissai à nouveau les yeux, les posant désespérément sur mes mains glacées.
– Oui ? répéta-t-il d’un ton interrogateur, cherchant visiblement à comprendre ce qui m’amenait.
Les mots restaient bloqués dans ma gorge, j’aurais voulu disparaître et oublier que j’étais venue jusqu’ici. Mais le démon qui s’amusait à mes dépens m’incita à poursuivre, se délectant de l’humiliation qui allait suivre.
– Ça va vous sembler ridicule, mais je… j’éprouve pour vous des sentiments qui… commençai-je d’une voix hachée par l’émotion. Je sais que je ne connais de vous que l’image que vous avez choisi de montrer, mais ce que je ressens n’a rien à voir avec l’admiration d’une midinette pour son idole ! C’est l’attirance d’une femme pour un homme, m’enflammai-je soudain, gardant obstinément les yeux baissés sur mes mains qui se crispaient, la chaleur gagnant progressivement le reste de mon visage.
À l’agonie, je poursuivis dans un souffle.
– Je suis amou…
Un doigt se posant sur mes lèvres me réduisit au silence. Je n’osai plus bouger. Il n’avait pas éclaté de rire devant ma stupide déclaration, un bon point pour lui, mais il n’avait toujours rien dit.
Le silence s’éternisa.
Était-il furieux, choqué, mal à l’aise, en colère, offensé ? Préparait-il une diatribe qui me crucifierait sur place ou cherchait-il une manière délicate de se débarrasser de moi ? Lever les yeux vers lui était au-dessus de mes forces.
Sa réponse, d’une voix mesurée, me prit par surprise.
– Savez-vous pourquoi, contrairement à certains de mes… collègues, je suis célibataire et aussi notoirement sans attache ?
Rendue muette par ce doigt qui frôlait toujours mes lèvres – pourquoi n’avait-il pas reposé sa main ? – je bougeai légèrement ma tête dans un geste de dénégation, appréhendant l’explication qui n’allait pas manquer de suivre. Allait-il briser toutes mes illusions et mes rêves futurs en m’annonçant qu’il était secrètement marié, ou épris d’une personne non disponible ? À moins qu’il ne prétende être en réalité attiré par les hommes ?
À cette idée, qui ne m’avait jamais effleurée auparavant, toute la chaleur déserta mon visage, me laissant plus glacée que si j’étais restée toute une journée dehors, en plein hiver.
– La manière dont je vis, dont nous vivons tous dans ce milieu, n’est que difficilement compatible avec une vie de couple épanouie. Rares sont ceux qui parviennent à gérer leur carrière et leur vie de famille sans que l’une ou l’autre n’en pâtisse, commença-t-il, sa voix gagnant en ferveur au fur et à mesure de son explication. Je refuse d’imposer une relation aussi épisodique à une femme. Le jour où je déciderai de m’investir dans une relation amoureuse, ce sera parce que celle que j’aime est plus importante à mes yeux que les titres ou les victoires. Elle aura la première place dans ma vie, parce que c’est aussi ce que j’aimerais être pour elle.
Un frisson me parcourut toute entière à cette déclaration digne d’une profession de foi. S’il était sincère, et curieusement je n’en doutais pas, l’image de lui véhiculée par les médias, pourtant déjà flatteuse, ne lui rendait pas justice.
J’osai enfin relever la tête et croisai son regard lumineux. Une flamme s’alluma en moi, brûlant ma réserve habituelle.
– Comment savez-vous que vous ne l’avez pas déjà croisée, cette femme que vous attendez ? Si vous refusez d’entamer la moindre relation, vous pourriez la laisser passer sans le savoir !
Il sourit.
Et ce sourire sur son visage habituellement austère modifia tellement son expression que je serrai les poings pour m’empêcher de tendre ma main vers lui, attirée par sa chaleur comme un papillon par une flamme.
– Je le saurais, fit-il avec simplicité, inconscient du maelström d’émotions qu’il provoquait en moi.
Le souffle court, j’étais à présent aussi incapable de le quitter des yeux que quelques instants plus tôt je l’étais de croiser son regard.
– Et si elle était prête à se contenter de ce que vous avez à offrir dès maintenant ? Prête à vous soutenir dans votre carrière ? Prête à se battre pour de nouvelles victoires, pour ce titre auquel elle aspire autant que vous, pour vous ?
– Alors je serais l’homme le plus chanceux du monde.
Cette même évidence dans sa voix.
– Mais vous ne parlez plus d’une personne hypothétique, me fit-il remarquer. L’amour ne se commande pas.
Je soupirai. Je ne pouvais qu’être d’accord avec lui.
– Non, l’amour ne se commande pas… murmurai-je pour moi.
Je ne pouvais choisir de ne plus ressentir ce que j’éprouvais pour lui. Il enflammait mes rêves depuis trop longtemps. Je réalisai soudain que ce qui m’avait amenée jusqu’à sa porte n’était pas le besoin irrépressible de lui avouer mes sentiments, mais l’espoir que son comportement annihilerait ces sentiments. J’aurais dû savoir que c’était perdu d’avance.
Le silence s’installa à nouveau, d’une texture différente.
Une fois de plus je baissai les yeux, pour ne pas lire la compassion dans le regard qu’il posait sur moi. Je ne pouvais supporter sa pitié. J’aurais voulu qu’il pose les yeux sur moi et tombe éperdument amoureux au premier regard ! Comment pouvais-je être encore aussi naïve à mon âge ? La vie n’est pas un conte de fée…
Je me levai, prête à partir, à m’enfuir. Sa main se posa sur mon bras nu pour me retenir, envoyant une décharge dans tout mon corps.
– J’aimerais rencontrer une femme telle que vous la décrivez, avoua-t-il, se levant à son tour.
– Je vous le souhaite…
Mes mots n’étaient qu’un souffle à peine audible devant ce vœu sincère mais tellement douloureux. Sa main remonta lentement le long de mon bras, légère, laissant une trace de feu sur son passage. Tétanisée, j’avais l’impression de me consumer de l’intérieur, mes pensées se bousculant dans ma tête, incohérentes.
– Elle aurait sans doute beaucoup à perdre, à offrir son amour ainsi, remarqua-t-il d’un ton faussement détaché.
– Beaucoup à gagner aussi…
Je ne reconnaissais plus ma voix, assourdie par les battements de mon cœur qui s’affolait, tandis que sa main, toujours légère, quittait mon bras pour repousser délicatement une mèche de cheveux tombée devant mes yeux, s’attardant sur mon visage.
– Elle n’aurait aucune certitude quant à l’avenir ; le danger et la notoriété deviendraient ses compagnes, l’une comme l’autre sont parfois très lourdes à supporter et l’amour n’y survit pas toujours.
Sa voix beaucoup moins indifférente à présent, comme s’il retenait son souffle. Sa main qui descendait le long de mon visage, effleurant ma tempe, ma pommette, la courbe de ma joue, l’arrondi de mes lèvres entr’ouvertes.
– Je serais prête à courir ce risque…
Un murmure frémissant.
Sa main qui relevait doucement mon visage, tandis que le sien descendait à ma rencontre. Son regard où brillait une étincelle qui n’était pas présente quelques instants plus tôt. Sa bouche qui s’approchait de la mienne, promesse d’un peut-être inespéré. Son souffle chaud qui caressait ma peau à la sensibilité exacerbée dans l’attente…
Ses lèvres qui se posaient sur les miennes, dans une explosion de tout mon être.
La certitude d’avoir enfin trouvé mon havre de paix.